Préparez scaphandre, palmes et tuba. Après avoir arpenté la surface des mers avec un Marines mi-figue mi-raisin en 2003, TRI YANN plonge à l'eau quatre ans après avec Abysses, bien plus convaincant.

Nos Bretons préférés ont décidé de se jeter franchement à l'eau. En effet, cet album est leur premier opus 100% Made in TRI YANN. Que ce soient les compositions, exemptes de toute adaptation de traditionnel ou de reprise, ou les arrangements, Abysses est dans son intégralité le fruit d'un travail d'artisans très amoureux de leur métier. Leur bébé, les TRI YANN ont décidé de le soigner : doté d'une production époustouflante donnant une impression voulue d'amenuisement de l'acuité auditive (le groupe souhaitait visiblement donner à l'auditeur l'impression qu'il posait les pieds sur un sol marin meuble et rassurant), cet album est un condensé de ce que les Trois Jean savent faire de mieux. Relié par un fil rouge (des sons sous-marins), Abysses voit le groupe pratiquer un folk/rock celtique mâtiné d'éléments jazzy, symphoniques et même de samples techno. Que les puristes se rassurent, ces derniers restent discrets.

Comme tout bon marin qui se respecte, TRI YANN débute son voyage maritime, seconde partie du diptyque entamé avec Marines, par une ode au grand et puissant Neptune. Introduit par des samples donnant une couleur moderne assez inattendue, "Gloire à Toi Neptune" se transforme rapidement en rock très classique, sur lequel la voix des Jean et celle des violons bavards supplantent n'importe quel morceau de Marines. TRI YANN est en forme et semble décidé à nous le faire savoir. Autarcie salvatrice ? Toujours est-il que les morceaux s'enchaînent comme lettre à la poste, et l'on se fait prendre au jeu d'une façon déconcertante. Mais comment résister à cette ballade médiévale qu'est "La Solette et le Limandin", narrant les amours impossibles de deux poissons, à "Dessous la Ville de Nantes", morceau gigogne repétitif qui voit les trois Jean narrer les nombreux trésors qu'offrent les sous-sols de cette ville qui leur est chère, ou encore à "Lorc'Hentez Kêr Is", longue complainte en breton agrémentée d'une flûte flamboyante narrant le destin tragique de la célèbre ville d'Ys.

Bien que tâtonnant et n'hésitant pas à intégrer des éléments inédits dans sa musique tels ces samples discrets mais surprenants, TRI YANN réaffirme plus que jamais son statut de fer de lance de la scène folk/rock celtique française. "La Lune au Fond de l'Eau", nouveau titre gigogne un peu moins marquant, et surtout "Petite Sirène" poursuivent l'album de fort belle manière. En imaginant une complainte pour la femme-poisson victime de sa réputation, Jean-Louis Jossic signe des paroles croustillantes parmi les plus réussies du groupe :

Je ne suis pas une chienne,
Qui charme et qui entraîne
Les marins dans ses eaux,
Une vilaine,
Qui embobine les matelots,
Mais les mythes sont costauds.

Basé sur une mélodie acoustique rehaussée de quelques instruments à vent placés bien à propos, ce morceau est sans doute la perle insoupçonnable d'un album qui n'en manque pas, la petite sucrerie qui nous confirme que TRI YANN ne perdra jamais la recette d'un morceau réussi.

Et, loin de s'arrêter en si bon chemin, le groupe poursuit : "J'ai Croisé les Néréides" (ces cinquante nymphes marines formant le cortège de Jupiter), chant de marin irrésistible, précède une envoûtante gavotte des montagnes ("Gavotten ar Seizh"). Le ton devient plus grave avec "Lancastria", ballade piano/voix relatant la catastrophe maritime la plus meurtrière de tous les temps (plus de 5000 personnes perdirent la vie lors du naufrage de ce bateau, coulé par un navire allemand, en 1940). Poignant, "Lancastria" offre la possibilité à TRI YANN de présenter la mer sous tous ses aspects, les plus beaux comme les plus cruels.

Mais le roulis des vagues efface rapidement les peines, et l'album se termine sur deux notes plus positives, évocation d'un séjour de vacances ("Le Sous-Marin"), suivie par une description imagée et grandiloquente de l'"Eden des mers", demeure de Belenos et du valeureux marin, dont l'ambiance rappelle l'époque du Vaisseau de Pierre.

Abysses, réalisé de A à Z par un TRI YANN à la forme recouvrée, est sans aucun doute une des plus belles réussites du groupe qui sait varier son propos tout en tenant une ligne de conduite dont on ne parvient jamais à se lasser. Un grand album pour un groupe décidément plein de ressources.