Par un 16 juin, date distinguée d'une année où l'été semble ne pas vouloir s'installer (sauf en Provence, et encore), imaginez que vous vous trouvez pour tout voyage de vacances sur les routes côtières montant depuis la Vendée (85) nord vers la Loire-Atlantique (44). Cette séance tourisme discrète, longue et naturellement solitaire, va vous conduire tout en bordure du pays de Retz et bien au-delà de l'estuaire de la Loire. Au début du 44, entrée de la Bretagne, le premier disque qui vous vient en tête est le seul approprié, à savoir une compilation de TRI YANN fort à point (c'est leur département plus qu'à quiconque d'autre en termes artistiques), achetée dans un bac à soldes peu avant votre départ.

Une compil de plus ? Non, une Master Série de Polydor/Polygram. Sortie en 1986, la compilation s'avère déjà être la quatrième d'un groupe qui en comptera bien d'autres (autant que d'albums studios). Toutefois, cette collection étant souvent faite avec goût, comme en témoignent les autres artistes en ayant bénéficié, pas simplement en alignant les tubes et d'autres titres pour orner, on remarque en effet le décalage avec la première parue dix ans plus tôt, en 76, et qui se concentrait sur les trois premiers albums de TRI YANN en picorant tout et rien. Cela étant, il y avait des inédits, même en petit nombre, et c'est encore le cas ici.

Cette Master Série, pour le coup, a beau occulter presque totalement les trois premiers albums à un "Pelot D'Hennebont" près (donc non, il n'y a ni "Les Prisons de Nantes" ni "Les Filles des Forges"), est excellente et majoritairement dédiée à la période souvent jugée comme la meilleure du groupe, celle qui incarne son virage rock et progressif voire moderne : La Découverte ou l'Ignorance (quatrième album en 1976), le suivant Urba (1978), An Heol a zo Glaz/Le Soleil Est Vert (1981) ainsi que Café du Bon Coin (1983). Et avec des choix osés pour le néophyte, particulièrement pour Urba dont le seul extrait représenté est son plus long : "An Distro Euz a Vro-Zaoz", dix minutes !

On sent que la sélection est pensée comme un album, et cela fait plaisir à entendre. Le thème du guerrier "Kan ar Kann" (1981), amené par son fondu tel que sur disque, se termine avec la première rupture, juste avant le solo de cromorne, c'est-à-dire avec la seule intervention (pour un accord) du psaltérion. Juste derrière, pour lien naturel, on a "Si Mort a Mors" (du même album) qui débute avec le même instrument. Et le son feutré de l'époque, les guitares de Christian Vignoles. "Kiss the Children for Me Mary", folk épique, fait intervenir pour la première fois la batterie chez TRI YANN, et même si de La Découverte ou l'Ignorance, on ne pouvait s'attendre qu'à "La Jument de Michao", celle-ci offre un enchaînement de marque après le morceau-titre, pourtant si différent.

Tout est bien pensé, y compris pour Café du Bon Coin avec la tourmente étrange de "An Tourter" et l'introduction des séquenceurs ainsi que de la batterie Simons en vogue des années 80, si bien rattrapée en douceur par "La Ville Que J'ai Tant Aimée", reprise de Phil COULTER devenu classique de TRI YANN. Et même si cela ressemble comme deux gouttes d'eau à l'album studio, après la noirceur folle du pavé rock progressif issu d'Urba, achevé par l'accordéon triste de Jean Chocun, la mer et les goélands, on est bien heureux d'entendre pour conclure "La Complainte de Yuna Madalen"/"Les Chevaux du Méné-Bré", cette suite 'argoat' (pays de terre) brumeuse et merveilleuse. De l'art-or pur. Jean-Paul Corbineau y semble chanter depuis les nuages.

Restent les inédits qui, d'ailleurs, le mettent à l'honneur. "Cheveux d'or" tout comme "Eguinané", ont été enregistrés en 86 avec Bruno Sabathé (déjà présent pour la tournée des quinze ans, comme dévoilé sur le live Anniverscène, un an avant) et Louis-Marie Séveno, le remplaçant du membre fondateur Bernard Baudriller qui a quitté l'industrie musicale. Le second titre, "Eguinané" introduit la compil avec force : boîte à rythmes doublée par la batterie, violon, riff de mandoloncelle par Gérard Goron puis mandoline, chanson de pauvres 'quémandant' à des nobliaux avec passages de voix entre Jean-Paul Corbineau et Jean-Louis Jossic, canons vocaux des choeurs, le tout avec une dynamique brillante. Entre deux tours de synthé cristallin et de violon démultiplié, on note aussi le pont bref plus 'cyber' pop-rock façon "Video Killed the Radio Star" !

L'autre titre, "Cheveux d'Or", est une ballade épique et mystique comme Jean-Paul Corbineau en a souvent chantées en grâce, avec accompagnement rock mais plus planant, nappes de synthé en pagaille, beaucoup de réverb' et d'écho mais sans que ce soit indigeste, notes occasionnelles de psaltérion et de flûte à bec. Belles impressions de jeunesse fuyante, de galop de cheval légendaire pour rejoindre le paradis celte, avec un chanteur toujours aussi 'beau', caressant. Ces deux titres, sans être des chefs d'oeuvre, regorgent de qualités et donnent l'impression d'être rescapés d'un album abandonné (et un 'simple', avant le monolithe), le chaînon manquant entre Café du Bon Coin (1983) et Le Vaisseau de Pierre (1988), avec le son d'Anniverscène mieux maîtrisé.

Rien que pour deux morceaux, pour le plaisir de la sélection ensuite, c'est un album à posséder. Même dans la confidentialité (relative puisque douze ans plus tard, la compil est devenue disque d'or), TRI YANN reste solide, appliqué, passionnant, régulier. Seule la mort y peut quelque chose et à l'écriture de ces mots, la saleté a déjà frappé. 16 décembre 2022, 16 juin 2024, un an et demi pile mais toujours difficile, voire impossible, de le réaliser.