C’était un jour de printemps, en 1997, suffisamment avancé dans l’année pour que l’on espère le beau temps. L’événement se situait derrière le château de style Renaissance de Javarzay, à Chef-Boutonne dans les Deux-Sèvres, petite bourgade de 2700 âmes. Dans la prairie qui sera bientôt transformée en paysage subventionné par le département, ce jour-là, le village multipliait sa population par 2 ou 3, entassée sur cette étendue de verdure. De ma vie, je n’avais jamais vu autant de monde rassemblé au même endroit. TRI YANN venait de drainer la population du centre Poitou pour un concert mémorable, sans doute le plus grand événement artistique ayant eu court dans les parages sur cette fin de siècle.

Ce concert était symptomatique d’une époque de renouveau celtique, en Bretagne bien sûr mais plus généralement en France. Et TRI YANN, qui avait gardé le cap, allait bénéficier de cet engouement intergénérationnel. Les adolescents que nous étions succédaient à nos parents dans les années 70. Si dans les années 80, les gens se déplaçaient moins aux concerts, progéniture à surveiller oblige, la platine vinyle ainsi que l’autoradio cassette auto-reverse ont continué à passer TRI YANN durant la période de creux. Le groupe sur scène est rodé, ayant profité du 'plat' pour expérimenter quelque peu et triompher dans les années 90 avec une véritable marque de fabrique : costumes de scène et anecdotes fantastiques à l'appui. Témoin de cette époque, le disque Tri Yann en Concert reflète cet engouement. Avec bientôt 20 ans dans les dents, on lui préfère sans doute le DVD 30 ans au Zenith, qui joint l’image au son, l’image étant un ingrédient indispensable aujourd’hui pour profiter pleinement de l’expérience dans son canapé.

Pourtant, c’est bien sur ce disque que la petite touche qui fait de TRI YANN un groupe incontournable sur scène est le mieux préservée. Le conte "Les métamorphoses de Madeleine Bernard" qu’il faut associer au titre du même nom est cette marque de fabrique. Cette astuce permettant aux musiciens de reprendre leur souffle, laisse un Jean Louis Jossic enthousiaste mêler le fond à la forme, l’image au son. Sur CD, il manque encore l’image, mais le conte est cette fois-ci entier, contrairement à ses homologues sur Anniverscène ou sur les DVD. On excuse pourtant plus un rabotage sur support CD qui par nature devrait s’écouter un nombre de fois plus conséquent que le visionnage de vidéos. Curieux choix. Sachez qu’en concert, l’exercice est généralement multiple, on se délecte en général de 3 ou 4 histoires mêlant traditionnel et modernité, comme ici la sardinelle à la motobécane. Les métamorphoses de Madeleine Bernard ont donc cette touche d’authenticité bienvenue.

Pour le reste, TRI YANN ne déçoit pas avec un CD live qui répond au cahier des charges. Dans la lignée plus traditionnelle de l’album Portraits, outre les extraits dudit album, les trois Jean nous ressortent quelque chose plus rare comme "Mrs Mc Dermott", "Le Dauphin" ou "Kan an Alarc’h". Un mélange qui nous conduit tout droit à ce que l’on retrouvera plus tard sur Le Pélegrin. En outre, quelques inédits savoureux épicent le tout, en particulier l’excellente "Les 90 maçons" qui nous gratifie d’un jeu de basse énergique enfin digne du groupe (merci Louis-Marie Sévenno) et de superbes vocaux contrepointés.

L’exercice live semble contraindre TRI YANN à reprendre des classiques. C’est avec joie certes, mais peut-être une certaine indifférence que l’on écoute "Pelot d’Hennebont", "Les Filles des Forges" ou "Si Mort a Mors". "Le soleil est Noir", "Kan ar kann" ou "Song For Ye Jacobites", moins systématiques, sont plus percussifs. C’est sur les "Prisons de Nantes" et "La jument de Michao" rebaptisée pour l’occasion "Le loup, le renard, la jument de michaud, etc." qu’on sent un groupe moins frais. Passages obligés, les TRI YANN ici ne savent plus vraiment quoi faire de leurs titres les plus connus. Tant et si bien que les nouveaux arrangements tiennent plus de l’improvisation que de la science de l’arrangement finement ciselé. On ne leur reproche pas de revisiter des choses qu’ils ont dû jouer des milliers de fois, de chercher à tout prix à se renouveler, de vouloir trouver une forme d’escapade en concert. Néanmoins, le disque aurait bénéficié de se voir amputé des deux incontournables. L’assemblage un peu bancal ainsi formé perd quelque peu la force des concepts que revêtent les albums studios. Ce désassemblage live (les captations se sont faites à différentes occasions), au son quasi irréprochable, est le beau témoignage d’une époque couronnée de réussite. Sa plus belle qualité est de ne jamais avoir fait doublon avec un autre album, malgré son indisponibilité à la vente aujourd’hui. Un bon album live donc, une photo de classe que l’on ressort du grenier avec joie tous les 5 ans, un souvenir qui ne parle qu’à ceux qui étaient là. Pour les autres, le disque n'a rien d’incontournable.