Les harmonies vocales sont présents dans la musique des TRI YANN depuis fort longtemps. Depuis le premier album de la légende bretonne en réalité, des titres tels que "La Vierge à la Fontaine" ou "Les Filles d'Escoublac" témoignant de la volonté des trois Jean de proposer des arrangements de qualité. Au fil des décennies, ceux-ci se sont étoffés, se faisant souvent riches et complexes, et le groupe, désormais plus affirmé, a toujours su trouver le juste milieu entre foisonnement des voix et surenchère. Des morceaux tels que "Kan Ar Kann", "An distro euz a vro-Zaoz", plus récemment "Pour Faire de Bonnes Crespes" le prouvent : si TRI YANN n'était pas un ensemble dédié à la voix, la voix s'est naturellement imposée au cœur de son identité musicale.

Mais, pourquoi en parler au passé ? Car en ce printemps 2025, TRI YANN revit. Alors que le Kenavo Tour, point final de 50 ans de scène, et le décès de Jean-Paul Corbineau, à la fin de l'année 2022, semblaient avoir définitivement scellé le destin de la légende bretonne, l'ange de la résurrection a pris les traits d'une modeste chorale jurassienne. En effet, Jean-Jacques Dorier, arrangeur et chef de chœur de l'Ensemble Vocal Marie Nodier, né en 2022, a eu la riche idée de proposer à Jean Chocun une collaboration entre sa chorale et les deux Jean restants. Une rencontre musicale, sous le signe de la bienveillance et de l'enrichissement mutuel, qui s'est concrétisée par deux concerts donnés conjointement en juillet 2024. Il ne s'agit pas d'une première pour les TRI YANN, qui s'étaient déjà produits en concert avec l'Ensemble Vocal de Nantes en 2004. Néanmoins, cette rencontre a fait germer une idée dans l'esprit de Jean Chocun, qui propose à Jean-Jacques Dorier de travailler sur la réalisation d'un album commun. Allez, en chorale tout le monde !

Voici donc retravaillés et revisités 15 titres du répertoire du TRI YANN, pour l'essentiel puisés dans le répertoire ancien du groupe, soit des albums Dix Ans Dix Filles jusqu’à Portraits. Du côté des vétérans bretons, l'équipe est rassemblée autour de Jean-Louis Jossic et Jean Chocun, puisque Christophe Peloil (violon), Gérard Goron (mandoloncelle) ou Konan Mevel (flûtes), parmi d'autres, sont de la partie. A noter un retour inattendu, celui de Bernard Baudriller, qui n'avait plus participé à un enregistrement avec ses camarades depuis 1995. Du côté des amateurs talentueux, l'Ensemble Vocale Marie Nodier présente une trentaine de voix mixtes, répartis entre sopranos, ténors, altos et basse. Le mariage est insolite, et plutôt réussi notamment puisque, en mettant l'accent sur les voix, les artistes rassemblés prennent le parti de présenter des morceaux parfois peu connus (ou en tout cas moins populaires) du répertoire des Trois Jean, et voient plus loin que les sempiternels standards.

Lorsque toutes les voix s'entremêlent, notamment sur l'enjoué "Prince Qu'en Mains Tenez", ou sur la délicate "Si Mort à Mors", qui met l'accent sur les voix féminines, le plaisir est total. Il y a une richesse harmonique qui donne aux morceaux une saveur non pas inédite, mais renouvelée. La réussite se fait particulièrement savoureuse sur les morceaux lents, aux ambiances tourmentées, qui permettent aux voix de s'étendre, se développer. "Complainte Gallaise", par exemple, qui voit l'ensemble vocal répondre aux injonctions vocales de Jean-Louis Jossic, est une véritable démonstration de maîtrise et le témoignage d'une interprétation subtile. Jean-Louis, qui a récemment rendu publique sa maladie neuro-dégénérative, est toujours vigoureux, et si l'on peut être dérangé par un usage un peu trop poussé des outils de correction vocale sur "Guerre Guerre, Vente Vent", la verve du plus exubérant des trois Jean est toujours un plaisir à écouter. Plus discrète, la voix de Jean Chocun est fidèle à elle-même, et le chanteur nous donne à redécouvrir "Song For Ye Jacobites", qu'il interprète avec force et tendresse mêlées.

L'ajout de voix de même que la création d'arrangements polyphoniques donne, c'est une évidence, un visage neuf à ces titres intemporels, qui bénéficient de ce travail mené avec talent et sérieux. "La Complainte De Yuna Madalen" ou l'inévitable "Jument de Michaud" bénéficient ainsi, tant vocalement qu'instrumentalement, de ce coup de polish revigorant. Dès lors que certains membres de la chorale se lancent dans des chants en solitaire, alors la partie s'avère légèrement plus complexe. Si "Le Bagne" nous offre une belle interprétation masculine en solo, on ne peut que nourrir des regrets à l'écoute de cette relecture de "La Découverte ou l'Ignorance", dont l'interprétation se fait parfois un peu surjouée, fébrile, dès que Jean-Louis Jossic quitte le micro. Et puis, la voix pure et intemporelle du regretté Jean-Paul Corbineau plane naturellement sur l'ensemble, et la bonne volonté des interprètes ne parvient pas à combler ce grand vide laissé. Ceci est particulièrement frappant sur "Le Soleil est Noir", morceau sur lequel l'absence du troisième Jean se fait particulièrement ressentir.

Inespéré, sur retour sur disque des TRI YANN est à la fois modeste et fort bien mené. Si chacun pourra naturellement émettre son opinion quant au choix des morceaux sélectionnés (je déplore, pour ma part, l'absence de "Sein 1940", pépite de l'album Marines), on ne peut qu'accueillir avec plaisir et bienveillance les fruits de cette rencontre qui tombe finalement sous le sens entre les vétérans bretons et ce talentueux ensemble vocal venu du Jura. Ensemble, chanteurs et musiciens redonnent vie à un répertoire dont la pertinence en ces temps troublés reste une évidence, et dont la richesse mélodique est ici exaltée. Même diminués, les trois Jean, bien aidé par ces choristes audacieux autant que respectueux, nous démontrent qu'ils ne sont pas encore prêts à rejoindre le panthéon celtique.

3,5/5