« Ce n'était rien qu'un feu de bois
Mais il m'avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
A la manière d'un feu de joie »

Mais, nom d'une grenouille de bénitier, qui peut donc bien être ce satané Auvergnat, à qui BRASSENS rend hommage sur son nouveau 33 tours ? Était-ce Marcel Planche, époux de Jeanne, qui recueillit le jeune homme après qu'il se fut évadé du camp de travail de Basdorf en 1944 ? Était-ce Louis Cambon, tenancier d'un bar du quatorzième arrondissement de Paris dans lequel le poète avait ses habitudes, et dont le décès en mars 2011 fit grand bruit dans la presse, qui n'hésita pas à titrer « L'auvergnat de Brassens est mort ! » ? L'identité de cet Auvergnat n'a finalement que peu d'importance. Ce que nous lui devons avant tout, c'est d'avoir inspiré à BRASSENS ces quelques vers, qui résonnent encore avec une ferveur ardente dans l'esprit des amateurs du moustachu. Pourquoi s'expliquer ce morceau, alors qu'il suffit de le ressentir, à travers l'expression de cette profonde reconnaissance qui l'anime, mise en musique sur une mélodie d'une grande mélancolie. D'ailleurs, BRASSENS parle-t-il réellement de lui ? L'utilisation de la première personne, fréquente dans les poèmes du moustachu, ne nous empêche pas d'en douter ? Est-ce lui, toujours, qui profite des attraits proéminents d'une jeune nonne sur « Je suis un voyou » ? Est-ce lui, enfin, qui se fait l'éducateur d'une jeune catin sur « Le mauvais sujet repenti », délectable fable moralisante ?

Après tout, peu importe. Lire les poèmes de BRASSENS comme autant d'essais autobiographiques, c'est tronquer le sens de l'œuvre du natif de Sète, donner de la confiture aux cochons. Le répertoire du bonhomme vaut mieux que cela. Apprécions plutôt l'artiste, chansonnier ou peintre, qui croque la société et les déviances de l'âme humaine comme personne. En quelques coups de pinceau, par touches discrètes, le poète redonne foi à toutes ces « Hélène » qui ne se croient pas dignes d'amour, ou présente une nouvelle fois ce personnage récurrent de l'asocial volontaire, cette « Mauvaise herbe » qui déplait tant aux braves gens. Universels et intemporels, les textes de BRASSENS ne seront jamais désuets, et ils en retirent leur force.

Anticlérical convaincu, BRASSENS poursuit également sa mise en musique de poèmes chers à son cœur, à l'image de « La prière », originellement écrit par Francis Jammes, sorte de « Je vous salue Marie » désabusé et vindicatif. Selon le procédé du « timbre », encore usité à l'époque, l'artiste réutilise note pour note la mélodie d' « Il n'y a pas d'amour heureux », exercice que BRASSENS ne répètera pas face aux remarques interloquées d'un public ne comprenant pas les raisons de la réutilisation de cette mélodie.

Et bien entendu, que serait BRASSENS sans les femmes ? Il y a celles, dotées d'un caractère invivable, qui le mènent par le bout du nez avant de se dérober, le laissant seul avec son amour sur l'épaule (« Une jolie fleur »). Il y a celle de la première fois, cette muse initiatique à jamais gravée dans sa mémoire (« La première fille »), et cette harpie qui montre patte blanche avant de sortir les griffes (« P... de toi »), envers laquelle le moustachu ne se fait pas tendre.

Tout comme sur son précédent 33 tours, BRASSENS alterne donc portraits, hommages et pamphlets qui, mis sous la forme de poèmes, constituent un répertoire d'une richesse délectable et sans fin. Ce serait donc ça l'Art avec un grand A.