Ah TRUST ! S’il y a bien un groupe qui s’est ingénié à déconcerter ses fans, ce sont nos Français, tant ils ont tout au long de leur carrière pris des orientations étranges et des virages surprenants qui les ont peu à peu coupés d’un public qu’ils avaient pourtant su conquérir à la force de leur talent.
Cet album ne fait pas exception à ce constat, tant il a pu de prime abord interpeller et refroidir l’ambiance. La pochette ressemble au logo d’un parti communiste d’Europe de l’Est, soit ce que le groupe ne cesse de dénoncer dans ses textes. En lieu et place de la traditionnelle photo des musiciens, on trouve à l’intérieur une étrange image du diable qui enlace un corps que l’on croit reconnaître comme celui de Bernie. De plus, l'album ne porte pas de titre, comme à l'époque du premier disque, ce qui a généré toutes sortes de titres bis (le plus souvent Idéal ou Trust IV). Enfin, bien entendu, on remarque la scission entre une face 'traditionnelle' et une seconde face connue sous le nom de 'face du diable' qui semblait, avant sa découverte, renvoyer nos révoltés sociaux dans les bras des vulgaires groupes satanistes commençant déjà à pulluler à l’époque (ce n’était malheureusement que le début).

Une fois tous ces obstacles franchis, et perdus une bonne partie des fans occasionnels que le groupe avait su capter avec Répression, les plus motivés ont pu se pencher sur cet album, une nouvelle fois de grande qualité malgré son manque d’unité.
La face 1 (je raisonne en format Vinyle) flirte même avec la meilleure veine du groupe : "Varsovie" est un brûlot sur la lutte du syndicat Solidarité en Pologne, et "Le pouvoir et la gloire" à l’ambiance très réussie livre un texte bien troussé, comme le riff de Nono. "Les armes aux yeux" bénéficie même d'un texte émouvant et inspiré de Bernie, dans l'exercice inhabituel pour le groupe de la ballade; l'essai est réussi avec notamment un très beau riff d’intro et un solo top. "Par compromission" est un titre assez lourd sur la religion, au texte un peu maladroit, et qui n’est pas de mon point de vue parfaitement placé en début d’enregistrement. Il nous reste "Idéal", titre pénible au texte abscons et au refrain criard, effet renforcé par un saxo peu inspiré qui n’apporte rien dans ce contexte.
La seconde face est comme il se doit totalement différente. TRUST a mis les petits plats dans les grands, avec l’aide du producteur Andy Johns, pour nous proposer une version ambitieuse de la légende de Faust. Nous sommes bien loin d’un satanisme de pacotille, mais face à une tentative très valeureuse et osée de transposer à notre époque ce conte du 16ème siècle. Musicalement, des moyens importants sont mis en œuvre, avec l‘aide d’un orchestre classique (pas courant à l'époque) qui sait rester à sa place mais apporte une dimension indéniable à l’ensemble. Les compositions sont de qualité, penchant souvent du côté métal du groupe, mention spéciale à "Purgatoire" à l’atmosphère prenante et au superbe "Jugement dernier". C’est le grand moment du disque, un morceau bien speed introduit par des grognements sataniques et porté par un superbe riff de Nono (et quel solo !), et des chœurs grandioses. Bernie sait ne pas trop en faire, alors que Clive Burr (ex-MAIDEN) apporte une superbe dynamique à la batterie. "Le pacte" et "La luxure" sont également de très bons titres, la progression de l’histoire étant très claire et bien agencée et l’ensemble de cette face une incontestable réussite artistique.

Le constat final est néanmoins le même que celui de Marche ou Crève : c'est un disque de grande classe, mais il contient des erreurs une nouvelle fois trop rédhibitoires pour élargir l’audience au-delà des inconditionnels. C'est vraiment dommage car le groupe ne disposait plus alors de beaucoup de Jokers pour reconquérir les fans perdus.