Shakedown Street est une baisse de régime sans trop de gravité, due à une profusion d'éléments qui auraient pu juste mieux fonctionner ensemble. Le GRATEFUL DEAD avait promis à Arista Records un autre album à la production soignée après Terrapin Station ; pas d'orchestre tout de même hein, il ne faut guère abuser ! Exit Keith Olsen également : le producteur choisi est Lowell George, guitariste-chanteur et membre du prestigieux groupe LITTLE FEAT. Cette époque foisonnant toujours de création, il y a pas mal d'échanges entre les deux groupes et aussi quelques bons procédés côté solo/satellites.

En 1978, le DEAD se fait copieusement surnommer 'Disco Dead', pour une simple et bonne raison. Le morceau éponyme de l'album à la pochette BD vintage bariolée (oeuvre de Gilbert Shelton, créateur des Fabuleux Freak Brothers) et enregistré à San Rafael, comté de San Francisco, n'est que le deuxième single qui pourtant déteint sur tout avec le recul. "Shakedown Street" résulte d'une envie du DEAD de singer l'inspiration BEE GEES qui ont viré dancefloor. Si de telles années se sont révélées très lucratives pour le combo australien, il n'en va pas de même de nos chefs californiens.

Pourtant, la chanson de Jerry Garcia et du parolier Robert Hunter demeure diablement efficace, avec le lick de basse bavard de Phil Lesh toujours au sommet de son art, même quand il doit être le plus canalisé. La voix de Garcia et les choeurs de Donna Jean Godchaux, le piano Rhodes de Keith Godchaux, les guitares qui se répondent, le groove laid-back et les détails virtuoses multiples, tout cela participe à rendre appréciable la musique disco, plus organique, par des musiciens rock de surcroît. Et puis, de la part du GRATEFUL DEAD, "Shakedown Street" constitue un relâchement autrement marquant que le superbe "Eyes of the World" de 1973 !

L'appellation 'Disco Dead' s'arrête là toutefois, même si au cours de la première face, ce sont Bill Kreutzmann et Mickey Hart les rois. Les percussions débutent "Good Lovin'", titre emprunté aux RASCALS, avec force ensoleillement compte tenu de l'effet bamba, typiquement mexicain. Le piano et la guitare libèrent un adorable solo à l'unisson, très mélodique, et à l'image du tandem de batteurs, Bob Weir se fait tout simplement plaisir. Avec un ultime partage vocal très soigné en compagnie de Donna Jean Godchaux, "France" apparaît comme un petit bijou soft-rock, grâce à ses accalmies également et son solo de steel-drums jazz à la fin, signé Hart.

Néanmoins, les limites se font vite ressentir. Si "I Need a Miracle" est un blues bien balancé et mordant, que Weir co-écrit comme d'ordinaire avec son propre parolier John Perry Barlow, il n'est pas pour autant phénoménal. De même "Stagger Lee", où Garcia s'inspire d'un standard en injectant un grand son du Sud, tandis que "Serengetti", récréation courte de Hart et Kreutzmann au doux parfum de tribus amérindiennes, n'apporte pas grand-chose. À l'inverse, "From the Heart of Me" est aussi convaincante que l'interprétation de Donna Jean, toute en sensualité. Hélas, le fondu final s'avère bien frustrant et les saxophones de Steve Schuster n'auraient pas dû se limiter à un rôle de figuration.

L'harmonica de Matthew Kelly (des copains de KINGFISH) et les solos de guitares offrent un certain plaisir sur "All New Minglewood Blues" du jug band NOAH LEWIS. Jerry Garcia nous offre encore une ballade étoilée avec "If I Had the World to Give", parmi les paroles les plus simples et gentillettes de Robert Hunter, chose que l'on retient ainsi que de beaux accords avant tout. Malgré encore un fade-out incongru, "Fire on the Mountain" est une réussite parmi tout l'aspect soft californien de cet album, avec un Jerry flamboyant et une splendide cohésion vocale. Le DEAD en fait par la suite un de ses standards live, couplé avec "Scarlett Begonias", titre de 74.

En parlant de concerts, si la réalisation de cet album est encore un peu chaotique avec diverses mésententes, chose qui s'entend' dans la qualité globale, c'est aussi parce que nos amis ont la tête ailleurs. À la mi-septembre, en plein travail de studio, ils s'organisent une belle folie en annulant leur tournée anglaise et en allant jouer trois soirs en Egypte, devant le Sphinx de Gizeh et tout près des pyramides. Cette expérience unique et pas si courante permet au GRATEFUL DEAD, en plus du fait qu'ils ont invité des musiciens locaux, de se hisser aux côtés de PINK FLOYD et autres groupes de rock ayant joué dans un lieu chargé d'histoire - pas le moindre !

L'oeuvre fin des seventies présentement décrite est très dans le ton d'époque, à la fois groovy, 'cool dude' et exotique, mais quelque peu décevante à cause de parti-pris qui la rendent trop simpliste, manquant parfois d'accroche, y compris du point de vue créatif. Le tableau se noircit après la sortie de Shakedown Street puisque Lowell George décède d'une crise cardiaque au bout de quelques semaines. En 1979, le DEAD revoit son effectif en se séparant du couple Godchaux qui l'avait intégré près de sept années plus tôt, sachant que Keith le pianiste se tue lui aussi peu de temps après mais d'un accident de voiture, au début de l'année suivante.