J’aimerais vous raconter mon histoire personnelle avec SOUCHON. Comment faire autrement ? Evoquer cet immense artiste de la chanson française, c’est forcément, nécessairement, entrer dans l’intime. J’ai de vagues souvenirs de mes premières rencontres avec ce brave Alain qui, au sein du foyer familial, faisait et fait toujours partie d’une sainte Trinité intouchable aux côtés de Maxime LE FORESTIER et Francis CABREL. Nous sommes en 1993, j’ai 8 ans, et l’album C’est Déjà Ça, porté par de nombreux morceaux devenus référentiels dans le répertoire de l’artiste, est diffusé en boucle sur la chaîne du salon par une mère enseignante, très sensible à la poésie désabusée de la 'Souche'. Je me revois encore en train de faire rouler mes petites Majorette, tandis que le pote de Laurent Voulzy chantait, couvrant le bruit de mes moteurs, Tout au long de la vie qui pique / On prend des beignes / A vouloir toucher les filles électriques / Des sacrées châtaignes.
Quelques temps plus tard, l’impeccable album Au Ras des Pâquerettes prend le relai de son prédécesseur et poursuit ma formation. Période bénie durant laquelle "Le baiser", "L’amour à la machine" et "Rame", issu de l’album du même nom (1980) tirent parti de la malléabilité de mes oreilles en construction pour s’imposer comme des références en termes de chanson française.

30 ans plus tard, la 'Souche' est toujours là. Si je n’ai jamais réussi à m’identifier ni à trouver mon compte dans les albums du chanteur publiés dans les années 70 et 80, ceux sortis après C’est Déjà Ça ont tous trouvé une place de choix dans ma discothèque, notamment le dernier en date, l’excellent Ame Fifties.
A 78 ans bien tassés, Alain SOUCHON publie un nouveau live, restitution longue de plus de deux heures des concerts donnés les 21 et 22 avril 2022 au Dôme de Paris, devant 4500 spectateurs totalement acquis à sa cause. Un double-live, accompagné d’un DVD, qui s’impose rapidement comme une rétrospective sous une lorgnette moderne de la carrière à la fois discrète et flamboyante du chanteur, qui s’adresse à l’ensemble de son public mais séduira particulièrement ceux qui, comme moi, ont accroché les wagons sur le tard.

Plus qu’un concert, Alain SOUCHON offre un véritable spectacle, les morceaux se voyant entrecoupés d’interludes qui prennent parfois des airs de one-man show. Le chanteur entre seul en scène, et la connexion avec le public est instantanée. On découvre SOUCHON sur scène comme on l’imagine dans la vie, simple et humble, un peu perché, loin des tendances, artiste avant tout. "Allo Maman Bobo" sonne le départ d’une odyssée bouleversante à travers le répertoire du bonhomme. De cette entrée en matière solitaire, à laquelle fera écho un dernier rappel également interprété sans ses camarades musiciens ("La Vie ne Vaut Rien"), il se dégage une force et une empathie que l’on ne ressent à l’écoute d’aucun autre chanteur, Stephan EICHER excepté.

Pour constituer cette setlist de 25 morceaux interprétés avec joie et envie, SOUCHON, entouré par son équipe habituelle, puise naturellement et à parts égales dans l’album emblématique de sa jeunesse, Jamais content, et dans l’indispensable C’est déjà ça, chacun représenté par quatre extraits pour autant de tubes. De son dernier rejeton, le chanteur extrait l’exubérant "Presque", interprété en compagnie de ses enfants Ours et Pierre Souchon (également présents pour une formidable version de la ballade désabusée "Le Marin"), le morceau-titre "Âme fifties" ainsi que l’intimiste "Un terrain en pente" qui prend une dimension nouvelle en public.

Aux nombreux et indéboulonnables classiques, Alain SOUCHON greffe quelques morceaux que l’on n’attendait pas forcément et qui, pourtant trouvent, parfaitement leur place dans ce programme bariolé. "Et si en plus y’a personne", dont l’impact émotionnel se voit renforcé par la frugalité des arrangements, "Saute en l’air", tiré de l’album On Avance ou encore "Pardon", manifeste écologique à demi-mot. Le discours qui introduit ce morceau est saisissant. Il y a ici ce spleen rempli d’humour qui frappe lorsqu’il évoque la campagne, la disparition des salamandres, des libellules, des sauterelles.

Deux heures durant, SOUCHON nous régale, bien aidé par des musiciens porteurs d’ambiances variées, tour à tour électriques et acoustiques, proches des albums ("Somerset Maugham", "C’est déjà ça") ou s’en éloignant drastiquement pour offrir aux morceaux de nouveaux visages permettant au chanteur de revisiter sa longue carrière en y incorporant une belle dose de nouveauté. Ce live définitif, qui prend son temps, présente Alain SOUCHON comme un interprète décomplexé dont la joyeuse mélancolie s’insinue avec bienveillance dans les viscères des spectateurs qui s’en délectent. Très en voix, le chanteur nous donne ici à redécouvrir de manière exhaustive sa brillante carrière que, à l’écoute de cet album sans faille, on lui souhaite encore très longue.

4,5/5