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- Style : Glenmor, Hubert Felix Thiefaine , Bernard Lavilliers

Léo FERRE - Il N'y A Plus Rien (1973)
Par K-ZEN le 28 Mai 2024          Consultée 805 fois

Q : Et le pass vaccinal ? Et le QR code ? R : À l’école de la poésie, on n’apprend pas. ON SE BAT !

Transbahuté par erreur dans notre époque tel un Marty McFly, qu’aurait pensé Léo FERRÉ de l’écriture inclusive ? En tant qu’anarchiste profondément ancré à gauche, peut-être aurait-il compris le sens et le but recherchés derrière tout cela. Mais étant également un amoureux convaincu de la langue, il aurait aussi bien pu trouver ça moche et peu figuratif, s’interrogeant ainsi logiquement.

Qu’aurait pensé FERRÉ de la réécriture des grands classiques, supprimant le passé simple au profit du présent afin de réduire les difficultés, bannissant certains mots au profit d’autres pour permettre aux enfants de se les approprier plus facilement comme le Club des Cinq arborant un français élémentaire et plat ou des jugements anachroniques touchant certaines œuvres aboutissant parfois à des actions plutôt inquiétantes, tels ces autodafés que l’on a vu au Canada destinés à éliminer Tintin ou Astérix, accusés de donner une mauvaise image des indigènes ; des pratiques qui nous renvoient à des heures bien sombres et semblant aux antipodes de ce que ces gens disent vouloir défendre ? Le poète Alain Duault s’inquiète ainsi d’une aseptisation des œuvres destinées à l’enfance et de la caporalisation moralisatrice de la jeunesse.

Une première réponse intelligente semble avoir été mise en place avec la republication de Tintin au Congo agrémenté d’une préface explicitant le contexte historique dans lequel la bande dessinée fut conçue. Mais il n’en demeure pas moins qu’une lame de fond sinistre s’avère à l’œuvre, incapable de produire du contenu novateur intéressant répondant aux codes de l’époque actuelle et par conséquent essayant factuellement de mettre des triangles dans des carrés, sans doute mue par pur intérêt pécuniaire.

Le sujet qu’aborde "Préface", réduction du manifeste ouvrant le recueil de poésies Poète… Vos Papiers ! publié par FERRÉ en 1957, semble donc n’avoir pris aucune ride : l’appauvrissement du vocabulaire, qu’il soit volontaire ou non, l’ingratitude de l’art qui, réaction qu’on jugerait humaine, ne saurait toutefois être monétisée. Deux ans avant l’acerbe merveille FLOYDienne "Welcome to the Machine", le chanteur monégasque épingle déjà l’industrie musicale, coupable de vendre la musique comme le savon à barbe ! La pièce est une parfaite déclaration d’hostilité, dont le paroxysme serait atteint sur un titre éponyme final hors normes.

"Il n’y a plus rien", slam avant l’heure de quinze minutes, règle l’ardoise de toutes les attentes et promesses qu’avaient fait naître les utopies libertaires des années 60. Un morceau radical, pessimiste mais magnifique où FERRÉ déploie librement sa science de l’arrangement orchestral – à ce jour, aucune information n’a d’ailleurs filtré concernant l’identité des musiciens, si ce n’est Danièle LICARI convoquée sur la première pièce – tout en s’immergeant entier dans ses propres contradictions, vociférant un Te marie pas ! alors qu’il y succombera lui-même à nouveau bientôt. Mai 68 ne fut finalement qu’une immense déception, le système s’avérant bien trop difficile à faire bouger telles ces préfectures assimilées à des monuments en airain. L’apprentissage fut ainsi douloureux mais l’espoir subsiste pour les générations futures, parfaitement guidées via le mode d’emploi dispensé par "L’oppression".

Dans un autre style, "Ne chantez pas la mort" déploie un morbide presque indécent, que Jean-Roger CAUSSIMON, auteur de la chanson, prendra à contre-pied dans sa propre interprétation personnelle. Mais à cette gravité orchestrale, s’oppose un texte qui finalement octroie au trépas presque le beau rôle, le personnifiant en une fille de vingt ans, à chevelure rousse. C’est une véritable mise en pratique directe du "Préface", choisissant délibérément une thématique clivante et à priori peu vendeuse. Les gens du show-business vous prédiront le bide... ? Qu’importe ! Le succès artistique est total.

D’apparence plus léger, "Night and Day" paraît diablement visionnaire, traitant déjà d’un monde ultra-connecté où la moindre information est disponible sans effort (ce refrain ne traduit-il pas le fracas traversant la fourmilière journalistique produisant au petit matin l’attendu canard ? …) mais travestissant cela discrètement via un rimmel surréaliste. Tout aussi nocturne, "Richard" – réponse au "Jef" signé BREL ? – déploie les vapeurs éthyliques baignant typiquement les bars au petit matin, une émouvante ode à la nostalgie et à l'amitié, revivant ces soirées où on pouvait à la fois refaire le monde ou parler de rien.

Mais peut-être, via une ultime contradiction, faut-il traverser la Manche pour avoir le meilleur avis sur ce disque. Les mots sont ceux de Mark STEWART, gourou chez The POP GROUP : J’ai vu la pochette d’Il n’y a plus rien, et j’ai pensé : 'Putain, c’est quoi ça ? Il me le faut'. Je suis rentré chez moi, je l’ai écouté et ça m’a détruit le cerveau. Adolescent, ce disque m’a ouvert la porte à l’agonie romantique. Ou comment un homme pouvait être idéaliste et fort, mais aussi émotif. Il parle de la mort, de l’anarchie dans l’amour, de politique. Et il avait ce truc de l’émotion et du cri pour le changement… C’est peut-être débile, mais il m’a appris ce concept de l’amour inconditionnel pour le changement. Moi l’ado, je me suis dit : 'Je suis avec ce mec' ! Il avait 60 ans, mais j’ai vécu ça comme un appel. Comme un appel religieux. C’était si expansif et romantique. Quelque part dans ma tête, je l’ai mélangé avec J. G. Ballard, et en me baladant dans Bristol, je pensais que j’étais le dernier des romantiques. FERRÉ m’a donné les tripes de faire ce que je voulais. Tu fais ta vie et soudainement le sol est différent.

Sorti en 1973, Il n’y a plus rien pourrait constituer la face cachée de la Lune mentionnée par un groupe anglo-saxon au même instant. Plus qu’un secret d’initié bien gardé ou un disque monumental d’un artiste à son apogée artistique, il s’agit DU chef-d’œuvre parmi les chefs-d’œuvre, celui qui resterait si cette hypothèse absurde se réalisait soudain : une minuscule valise ne pouvant contenir qu’un unique album.

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- Léo Ferré (voix, direction d’orchestre)
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- Danièle Licari (voix)


1. Préface
2. Ne Chantez Pas La Mort
3. Night And Day
4. Richard
5. L’oppression
6. Il N’y A Plus Rien



             



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