Depuis son hospitalisation en 2008 à la suite d’un sévère burn out, Hubert-Felix Thiéfaine a soif de renaissance et de nouveaux horizons. Avec Suppléments de mensonge, titre extrait du Gai Savoir de Nietzche, un homme neuf renaît à la lumière blafarde du jour. La soixantaine passée, il ose se montrer tel qu’il est, toujours debout après plus de trente ans de carrière. Enfin libéré, il ne craint pas de s’exhiber torse nu sans complaisance ni retouche Photoshop. Un certain Jean-Philippe Smet devrait en prendre de la graine. Ce portrait fantomatique hante désormais les couloirs du métro parisien pour annoncer l’heureux événement d’une nouvelle tournée baptisée un peu pompeusement Homo Plebis Ultimae Tour.

Peu de temps après sa collaboration avec Paul Personne en 2007, Thiéfaine a composé un album solo intitulé Itinéraire D’un naufragé. Ce disque ne verra jamais le jour. Cependant, « Petit Matin 4.10 heure d’été » et « Garbo XW Machine » sont issus de ce projet avorté. Après sa guérison, il a pris le temps d’écrire dix autres chansons toutes plus brillantes les unes que les autres. Le noir et blanc de la pochette est à l’image de la tonalité clair-obscur, mélancolique, hors du temps de cette œuvre. Il y déverse son spleen, chante un amour onirique, se replonge dans des souvenirs d’enfance, rend hommage à Edward Hopper et comme tout bon poète, s’amuse avec les mots. La Casa, Ludéal, Arman Méliès, Guillaume Soulan, Roberto Briot, Dominique Dalcan, JP Nataf, ainsi qu’Hubert-Félix Thiefaine lui-même, se succèdent pour mettre en musique ces merveilles poétiques. Malgré la diversité des compositeurs, on peut admirer la cohérence musicale de l’ensemble.

Suppléments de mensonge est le fruit d’une rare alchimie entre des mélodies envoutantes, des textes très imagés et des arrangements délicats signés Edith Fambuena et Jean-Louis Piérot. Élégants et souvent acoustiques, ceux-ci soulignent merveilleusement l’interprétation poignante de Thiéfaine. Le résultat est d’une beauté à en pleurer. Des morceaux sublimes comme la chanson d’amour « Trois poèmes pour Annabel Lee » nous submergent d’une émotion intense. Les mots viennent se poser avec finesse sur un écrin de cordes spectrales. Hubert-Félix Thiéfaine a réussi à créer un univers singulier et crépusculaire où un parfum de nostalgie se mêle à la bile noire du poète torturé. Des personnages plus morts que vivants, fantômes ressurgissant du passé, héroïnes solitaires en fuite et filles du sud aux yeux noirs hantent les paroles de l’album. Mais aux côtés du dépressif « Petit Matin 4.10 heure d’été » émergent des chansons plus décalées, surréalistes et rock’n’roll comme « Garbo XW Machine », « Ta Vamp Orchidoclaste », « Lobotomie Sporting Club». Dans ces textes, Thiéfaine s’amuse à associer les mots de manière percutante. Il en ressort une musique énergique, plus enjouée que la longue complainte froide intitulée « Les Ombres du soir ».

Suppléments de Mensonge peut déjà être considéré comme un classique de la chanson française. Superbe d’un bout à l’autre, cet album est à écouter du petit matin jusqu’au bout de la nuit.