Prenez une après-midi sur votre temps. En semaine, en weekend, peu importe. L'été de préférence ou à la fin du printemps. Prévenez votre patron, vos amis, votre famille de votre indisponibilité temporaire. Une après-midi, c'est énorme dans notre monde pressé, dans lequel tout est urgent et ne peut pas attendre. Une après-midi, ce sont des milliards de $ échangés, des centaines de décisions prises, des retournements de situation rocambolesques. Balivernes et futilité. Coupez le portable, ouvrez les volets et laissez le soleil envahir votre demeure. Installez-vous confortablement et lancez la musique. La vérité arrive, portée par une section musicale virtuose. La vérité vraie, pas celle que les médias alarmistes veulent vous faire avaler. Le monde n'est pas tel qu'on vous le présente. Il en est même à des années-lumière. Le monde complet et global, mêlant passé, présent et avenir, se trouve inscrit dans un coffret live de Francis CABREL. Surprenant ? Mais tellement vrai.

3h30, c'est donc le temps qu'il vous faudra pour prendre la pleine mesure de ces 3 albums enregistrés en public, publiés deux ans après la sortie du remarquable Sarbacane. Ce coffret regroupe deux concerts, le premier donné à Toulouse en 1989 dans une version électrique et le second capté à Sarlat dans une formule acoustique. L'ensemble brille par une absence de doublons, à l'exception de "Tourner les hélicos", "Je te suivrai", "Petite Marie", "La dame de Haute-Savoie" et "Les murs de poussières", dont les arrangements, très différents d'une version à l'autre ne gâchent en rien le plaisir d'écoute. Pour le reste, CABREL propose un panorama complet de sa carrière musicale, alors riche de sept albums studios. L'artiste prend même plaisir à interpréter de nouveau l'inédit "La fabrique", déjà présent sur l'album live Cabrel Public. Pour le reste, reprocher l'absence de pièces telles que "Les chemins de traverse", "Elle écoute pousser les fleurs" ou "Je rêve" serait faire la fine bouche, car d'Une ombre à l'autre s'impose rapidement et naturellement comme un véritable chef-d'œuvre sur lequel folk, jazz et blues s'entremêlent dans une harmonie délectable et riche du talent incroyable d'un CABREL au sommet de ses capacités. Pas de blablas inutiles, seule la musique parle durant ces 3h30 de pur bonheur.

Une richesse instrumentale se dégage de l'ensemble. Si chaque instrument a son mot à dire, tous ne disposent pas de la même importance selon les ambiances distillées. A noter le mixage savamment mis en avant de la basse de Bernard Paganotti, qui sonne d'une manière incroyable sur un équipement sonore de qualité. Les cuivres (dont un saxophone plaintif), les instruments à cordes frottées (violon, violoncelle) et l'accordéon soutiennent ensemble ou à tour de rôle la section rythmique et les guitares, ainsi que la voix de CABREL, puissante ou tendre. La star de ces spectacles reste bien entendu la musique en elle-même. Titres incontournables ou pièces rarement interprétées ("Lisa", "Dame d'un soir", "Saïd et Mohamed"), ces concerts foisonnent de moments de transcendance : "Le pas des ballerines" qui ouvre le coffret à pas feutrés, "Les murs de poussière", repensé dans une version bien plus pop-rock, mettant en avant les claviers de Gérard Bikialo, la doublette "L'encre de tes yeux" / "Petite sirène", d'une incomparable beauté, "Carte postale" et sa guitare solennelle, "Si tu la croises un jour" ou encore "C'était l'hiver", glaciale ballade désabusée. Les ambiances et les émotions se succèdent alors que le public participe activement à ces concerts, notamment sur "Je l'aime à mourir" et bien entendu "Petite Marie".

Si les pièces les plus folk ont la préférence de votre serviteur, force est de reconnaître que les intonations bluesy et rock de "Sarbacane", "Dormir debout" ou "Une star à sa façon" apportent une touche supplémentaire d'authenticité à la musique de CABREL, parfois mieux que sur album ("Tourner les hélicos", "Lisa").
Complet, ce coffret mérite bien 3h30 de votre existence. Vous en ressortirez éveillé et conscient de notre monde. Au-delà des mensonges télégéniques et des réalités tronquées, CABREL offre avec D'Une ombre à l'autre une collection de morceaux ruraux, humanistes, amoureux et sincères qui décrivent la vie telle qu'elle est. Tout cela vaut bien une après-midi.