Présenté à l'époque par son auteur comme son probable chant du cygne, Sarbacane met un terme à une pause de quatre ans pour Francis CABREL. Désormais père de famille, celui qui jusqu'au médiocre Photos de voyages (paru en 1985) ne laissait pas plus de deux années s'écouler entre deux opus prend maintenant le temps de vivre, quitte à laisser quelque peu de côté une carrière tendant peu à peu à s'essouffler. C'est ainsi dans son studio personnel que l'auteur/compositeur donne vie à ce septième album studio.

Et le temps de gestation que s'accorda CABREL ne fut pas vain. Bien mieux produit que ses prédécesseurs, Sarbacane ne souffre aucunement des défauts inhérents à Photos de voyages. Exit les claviers envahissants, les arrangements à la mord-moi-le-nœud, CABREL dote Sarbacane d'un son brut et épuré, qui sied parfaitement aux dix compositions proposées par l'artiste.

Mais plus que la production, ce sont bien les morceaux eux-mêmes qui font de Sarbacane un album fort réussi. S'éloignant des sonorités pop et jazzy sans grande envergure auxquelles il avait consacré une place de plus en plus prédominante sur ses précédents albums, Sarbacane se veut un album folk, rock, mais aussi country et bluesy. "Animal", titre d'ouverture de l'album, crée ainsi un pont entre deux rives, offrant une ambiance proche de celle de l'album Quelqu'un de l'Intérieur mais présentant des arrangements résolument traditionnels. CABREL mêle avec bonheur accordéon, guitare acoustique et électrique pour un titre se moquant gentiment des hommes oppressants cédant aux faveurs de ces croqueuses d'hommes, témoignant par la même occasion d'une empathie envers ces femmes victimes de leur succès !

Décidément, cet album de CABREL est dédié à la gent féminine puisqu'il se poursuit avec la première ballade de l'opus, "C'est écrit", chanson d'amour acoustique peinant à égaler le niveau de "Je l'Aime à mourir" ou "Je Pense Encore à toi" mais dotée néanmoins de qualités suffisantes pour en faire un des meilleurs moments de cet album, qui n'en manque pas. "Sarbacane", petit brûlot country-folk dédié à sa fille, rappelle avec bonheur le titre "Ma place Dans le trafic", l'un des titres les plus réussis du bonhomme. Doté d'un refrain persistant et d'un solo de guitare sympathique, magnifié par l'accent sudiste d'un CABREL en pleine bourre, "Sarbacane" symbolise le retour en puissance de l'artiste qu'on n'avait pas connu aussi convaincant depuis un long moment.

Et l'album de se poursuivre sur cette lancée : "Rosie", adaptation française d'un titre de Jackson BROWN, est une petite ballade folk intimiste dont on se délecte inlassablement. "Tout le monde y pense", ballade bien plus solennelle, constitue quant à elle un des moments les plus forts de l'opus. Hymne à la solidarité entre les peuples, CABREL l'athée (Le ciel s'en balance nous chante-t'il avec conviction) se fait ici l'auteur du seul titre 'politisé' d'un album globalement axé sur l'amour sous toutes ses formes. L'amour 'traditionnel', comme en témoigne le très rock et réussi "Je sais que tu danses", mais également l'amour paternel. "Petite Sirène", second titre de l'album dédié à sa fille, constitue une ballade acoustique touchante, bien qu'un peu niaise.

Seul "J'ai peur de l'avion", titre country-rock au tempo lent, se révèle en-deçà de la qualité globale de l'album. Ce morceau ne parvient néanmoins pas à nuire à la cohésion d'un opus fort réussi, qui voit de nouveau CABREL renouer avec l'inspiration et la créativité. Malgré un succès commercial conséquent (plus de deux millions d'exemplaires vendus), il faudra de nouveau attendre cinq ans et l'excellent Samedi soir sur la terre avant que le bonhomme n'accepte d'offrir un successeur à ce Sarbacane fort recommandable.