Après les mouvements de Time, l'album Horkstow Grange marque une rupture dans la carrière de STEELEYE SPAN. Maddy Prior partie, Gay Woods devient seule chanteuse, mais il y a encore un remplacement temporaire, et de taille : Liam Genockey laisse sa place à... Dave Mattacks. Depuis Ashley Hutchings, membre fondateur, il n'y avait eu aucune marque de FAIRPORT CONVENTION au sein du groupe, et le génial batteur se trouve crédité en tant que membre non-officiel.

De drôles de choix pour ce Horkstow Grange, y compris une tournure beaucoup moins rock. Certes, Bob Johnson apporte sa fournée de guitares nerveuses, mais c'est toujours au service d'une musique folk et hautement inspirée, chose que ne reconnaît guère un public en manque du STEELEYE SPAN habituel. Quel dommage car, outre le retour occasionnel et très plaisant à un son de début des années 70, l'album reste pétri de qualités. Il faut simplement savoir qu'il n'y a, pour la première fois, aucune composition originale : mis à part une reprise, ce ne sont que des arrangements de morceaux traditionnels.

Mattacks ne joue que sur trois titres et se démarque grandement des aspects jazz du jeu de Genockey, par un apport plus subtil mais ô combien efficace. On remarque cependant ici la finesse des arrangements de la part d'un groupe qui a rarement officié en tant que quatuor. La conclusion de "Erin", ballade merveilleuse qui évoque l'émigration massive d'Irlande au XIXème siècle, est une longue suspension musicale sans chant où le violon de Peter Knight joue un reel tandis que Gay Woods officie au bodhrán. Ce qui aurait pu être un aparté traditionnel pur se trouve enrichi par les résonances de Tim Harries et Bob Johnson sur leurs instruments respectifs.

Du fait d'un apport rock moins grand, la musique respire davantage, chose que l'on remarque aussi sur les danses et dès le début avec "The Old Turf Fire". Le violon de Knight est à l'avenant, la voix de Woods nous émerveille, elle sonne si différente de celle de Maddy Prior, malgré une force comparable ! J'aime en particulier le travail de Johnson sur ce titre, il alterne guitare grésillante et pure (sur le passage instrumental). Son solo prend de grands airs de cornemuse écossaise sur "Bonny Birdy" - même si l'approche est autre que celle d'un Richard THOMPSON -, titre chanté par Knight et jig passionnante aux claviers amples d'Harriss.

Celui-ci est seul à soutenir la belle polyphonie du morceau-titre ainsi que Woods pour le poignant "The Parting Glass" qui ferme ce disque. Une simple nappe de synthétiseur, une complainte qui résonne à travers les grands espaces et taillée sur mesure pour la dame. On reconnaît les mêmes qualités sur "Erin" avec des arrangements plus audacieux, idem pour "Queen Mary/Hunsden House", où le piano joue ce qu'on pourrait entendre d'un violon. Woods nous séduit tout autant sur la jig "I Wish That I Never Wed" et le duo Knight/Johnson réserve un nouveau bel aparté.

Le guitariste se distingue encore, au chant ("The Tricks of London", son caractère pop-folk léger et ses choeurs solides) et même à la guitare classique ("Australia", plutôt jolie). On sent son influence sur "Lord Randall" qui rappelle l'album Back in Time (1986) et particulièrement "Edward", un autre de ses tours de force, au moins pour les couplets, vu que la suite est plus country. "One True Love" et "Bonny Irish Boy" sont les chansons qui rappellent le mieux STEELEYE SPAN au début des années 70, le duo d'albums magiques Please to See the King/Ten Man Mop, or Mr. Reservoir Butler Rides Again. Ah, ces basse/guitares nébuleuses, ces vocalises Johnson/Woods qui planent...

En dépit des changements et du snobisme d'une partie du public, Horkstow Grange est un bien bon cru !