Après un petit crochet de Christian Décamps et son fils Tristan par le projet prestigieux Anne De Bretagne en 2009, avec la bienveillance musicalement riche du Breton Alan SIMON, le nouvel album d'ANGE est une des belles surprises de 2010, paru vers la fin du mois de janvier afin de bien commencer l'année. Fidèle à ses racines comme à son présent, le groupe l'enregistre entre la Haute-Saône, en Franche-Comté (au studio La Noseraie de Saint-Bresson), et Liverdun, dans les environs de Nancy (studio Dizzcover), au beau milieu de la Lorraine.

La couverture de l'album est très belle, une des meilleures du ANGE 'nouveau' avec La Voiture à Eau et Souffleurs de Vers. Elle est le contenant d'un album à son tour, on s'en doute, plutôt foisonnant et dont la durée atteint l'heure dix et quelques facilement. Le Bois Travaille, Même le Dimanche est un titre à rallonge mais bien choisi pour nos compères et mère (pour Caroline Crozat toutefois, il s'agit de la dernière participation régulière) pour décrire les tréfonds de la condition humaine en proie aux éléments, y compris à lui-même. Le cerveau, après tout et tant qu'il y a de la vie, ne s'arrête jamais.

L'illustration est belle, l'homme (se) perturbe, la nature poursuit sa route à côté de cela, aussi innocemment que ce petit oiseau bariolé, même si on est certains à penser que c'est un peu moins simple que cela. En tout cas, notre cher Christian Décamps sur "Des Papillons, des Cerfs-Volants" parle de voyage interstellaire et de tout ce que la société a pu créer pour tenter de s'élever avec des ailes, à ses propres dépens. La musique est une pop-rock électro avec des consonances très 90's, les choeurs de Caroline Crozat soutiennent bien l'ensemble, Hassan Hajdi n'attend pas pour se montrer impérial et on sent déjà dans les claviers de Tristan une envie de mettre le violon en avant.

Belle constante sur tout le disque, y compris la noirceur jazzy cosmique de l'excellent "Voyage en Autarcie", idylle solo du solitaire, pas aussi simple qu'elle en a l'air, même si papa Décamps martèle les formules d'usage et choisies ('va donc t'offrir un vrai futur, en dehors des Saintes Ecritures...'). On note un peu le même type de musique sur "Dame et Dominos", où il est davantage question de rupture sentimentale. Christian D. a écrit tous ces titres de son côté, mais il laisse la main à son fils et à miss Crozat pour un "Les Collines Roses" de toute beauté, presque comme un duo élégant et original en variété, du moins jusqu'à ce que lui-même intervienne.

Peut-être un peu plus auto-centré que Souffleurs de Vers, l'album offre des moments de nostalgie personnelle, comme aussi ce "Hors-la-Loi" bien pensé musicalement (incisif, planant, arpège "Bonnet Rouge" encore), parlant d'évasion juvénile à travers les contes etc, mais un tantinet moins marquant. Les paroles de "Jamais Seul" sont très touchantes ('je crois qu'on n'est jamais seul quand on a quelque chose à dire'), mais idem, la formule s'émousse un peu malgré un effort de groupe toujours au diapason (ces guitares 'twin'/jumelles plaintives, miam !).

Et les morceaux courts ne sont pas seuls concernés, on peut faire ce constat sur la fin de l'album avec le tandem "Ultime Atome"/"À l'Ombre des Pictogrammes", doté de beaux moments certes, notamment dans les parties instrumentales (sonorités orchestrales, final d'un grand lyrisme qui justifie sa longueur). Cependant, le ANGE de 2010, dont on reconnaît l'unité plus que maturée à l'évidence, retient mieux notre attention grâce à des titres comme "Clown Blanc" (soutien vocal sans faille de Caroline et Tristan à Christian) et "L'oeil et l'Ouïe", voyage très poétique en anatomie comme le maître à penser peut créer.

La pièce de résistance de ce disque, c'est son autre tandem, à commencer par le long morceau éponyme qui justifie pleinement ses douze minutes. Après une description du vent à la première personne, qui n'est pas sans rappeler celle que René Fallet avait fait pour la mer en introduction de Bulle ou la Voix de l'Océan (1970), l'ensemble se mue en progression noire, avec des arrangements superbes (vocaux compris), jusqu'à la première explosion rock décalée et bienvenue quand l'orage éclate. Entre 'Humain il te faut partir, ici n'est plus ta place !' et cette partie très écossaise, tout n'est que belle folie, ensorcellement comme on aime, jusqu'à la retombée finale avec cet arpège sombre.

Aussitôt derrière, on se prend dans la face et en supplément de choix un "Sous le Nez de Pinocchio" pour le moins fantastique avec son rythme tribal (Cazzulini génial), au diapason avec cette description du 'bal des menteurs' quotidien, aux infos, à la télévision etc. Il fallait bien un petit crochet du droit politique, mais on s'étonne franchement et avec délice de voir ANGE, aussi âgé désormais (y compris dans sa mouture actuelle) parvenir toujours à nous surprendre de la sorte, avec des perles pareilles. Aussi inspiré que grandiose, il insère à merveille une petite accalmie façon jouets de Geppetto, et puis on note sur le refrain cette superbe 'choraline', menée par la choriste qui illumine une dernière fois de sa présence. Vraiment un bon disque, bien que trop chargé.

Note réelle : 3,5