Francis CABREL n'a jamais été loquace lors de ses concerts. Personnalité réservée (le bonhomme est toujours resté très discret), timidité, manque d'assurance ? Toujours est-il que l'artiste a toujours préféré laisser parler la musique. Bonjour, au-revoir, quelques mots par politesse, voilà à quoi se limitent ses interventions. C'est à prendre ou à laisser. Et si cette attitude, qui peut sembler froide et distante de prime abord, peut déranger une certaine frange de son public, c'est un Olympia totalement acquis à sa cause qui figure sur cet enregistrement live, le premier de l'artiste. C'est en février 1984, lors de la tournée servant à promouvoir l'album Quelqu'un de l'Intérieur (énorme succès commercial mais certainement pas le préféré de votre serviteur) qu'a été capté dans la célèbre salle parisienne cet enregistrement, bourré jusqu'à la gueule de 20 morceaux judicieusement sélectionnés.

Plongeant avec bonheur dans l'ensemble de la discographie du natif d'Astaffort, c'est avec un "Ma place dans le trafic" de bon aloi que débute le concert. Introduit par un clavier sonnant aujourd'hui un peu daté, le morceau prend son envol avec l'arrivée d'une guitare électrique mordante et le chant convaincu d'un CABREL très en voix. Si cet extrait de Carte Postale se voit ici agréablement transfiguré, ce n'est pas le cas de "Chemins de traverse" qui, extrait de l'album du même nom, voit son folk guilleret inutilement alourdi par un clavier décidément imposant, qui marquera de son empreinte l'ensemble des compositions. Alternant titres rock et bluesy ("Les voisins", "Chauffard", "Question d'équilibre" et bien entendu le classique "La dame de Haute-Savoie"), morceaux folk délicats ("La fille qui m'accompagne", "Elle écoute pousser les fleurs") et surtout ballades empreintes d'une déstabilisante et délectable émotion. Et si ces ballades se taillent ici la part du lion, elles apportent toutes leur pierre à l'édifice pour faire de l'écoute de ce concert un moment de bonheur : l'incontournable "Petite Marie", l'intimiste "L'enfant qui dort", les romantiques et solennelles "Je pense encore à toi" et "Je l'aime à mourir", mais aussi les plus dérangeantes et profondes "Carte postale" et "C'était l'hiver", qui offrent un aperçu de l'étendue de l'immense talent d'un CABREL au sommet de son art.

Cerise sur le gâteau, le concert propose deux titres inédits, que l'on ne retrouve sur aucun autre album du chanteur : "Trop de peine", titre folk de toute beauté que l'on suppose autobiographique (l'artiste y raconte son parcours musical), et "La fabrique", doté d'un violon sympathique, et dont les accords donnent la forte impression d'avoir affaire à un embryon de la ballade "Petite sirène" qui figurera sur l'album Sarbacane.

Alors que le concert s'achève sous les vivas de la foule, après à peine plus d'une heure de musique, le constat s'impose : si CABREL n'aime pas parler, qu'il se taise, car les morceaux ici présentés se suffisent à eux-mêmes et témoignent d'un artiste complet et précieux. Si cet album live sera supplanté par les suivants (les indispensables Double tour et La Tournée des Bodegas, il reste encore le témoignage exhaustif d'un répertoire riche et d'une beauté rare.