Sous un soleil énorme est le vingt-deuxième album de Bernard LAVILLIERS. Un peu plus de quatre ans après Cinq minutes au paradis, il nous revient avec cet album qui s’inscrit dans la lignée de ses prédécesseurs. Ce qui veut dire que si vous avez aimé Cinq minutes au paradis vous ne risquez pas d’être déçu par Sous un soleil énorme. On y retrouve les mêmes thèmes, les mêmes ambiances musicales et surtout la même qualité globale, tant il est indéniable que ce dernier opus est une réelle réussite. A tel point que je pourrais même imaginer qu’un auditeur déçu par Cinq minutes au paradis puisse se laisser ensorceler par Sous un soleil énorme.

A l’exception de "Noir Tango" qui peine à me convaincre, tous les autres titres possèdent une personnalité et un charme propres à nous emporter.
Ainsi, le chaloupé et nostalgique "Le Cœur du monde", aux sonorités sud américaines, possède un charme alangui du meilleur effet. Alors que "Voyages", aux violons pour trame musicale, doté d’un souffle plus majestueux, nous propose un univers bien plus vaste. Pour "Je tiens d’elle", une collaboration avec le groupe TERRENOIRE (le duo composé des frères Herrerias, dont le nom reprend celui d’un des quartiers de Saint- Etienne), l’ambiance est plus sombre, plus grave. Les trois Stéphanois évoquent leur attachement viscéral à leur ville natale et le besoin irrépressible de la quitter pour aller voir ailleurs.
Cette triplette de chansons illustre à merveille la thématique de l'album qui oscille fréquemment entre l’appel du voyage, l’ouverture vers le monde et des pensées ou sentiments bien plus personnels et intimistes qui poussent le chanteur à l’introspection.
Cette apparente schizophrénie trouve également son illustration dans "Le piéton de Buenos-Aires" et "L’ailleurs". Alors que le premier de ces titres se veut une joyeuse invitation au voyage qui incite à l’introspection et à l’évocation du passé, "L’ailleurs" est une touchante confession dans laquelle il évoque ses doutes sur l’avenir, du fait de ses problèmes de santé et où il laisse son esprit vagabonder dans son passé et dans ses sentiments.
Il n’y a guère que les plus atypiques "Beautiful Days", "Corruption" et "Qui a tué Davy Moore ?" à ne pas s’inscrire pas dans cette thématique générale. Les deux premiers, et notamment l’irrésistible petit pamphlet acide "Beautiful Days", évoluent plutôt dans la critique sociétale dont il est coutumier. La présence de "Qui a tué Davy Moore ?" au sein d’un album assez homogène, en revanche, surprend beaucoup plus. Il s’agit d’une reprise de l’adaptation française du "Who Killed Davey More?" de Bob DYLAN par Graeme ALLWRIGHT en 1967. Cette chanson, qui traite de la mort du boxeur Davey Moore des suites d’un combat mené deux jours plus tôt, donne l’occasion à Bernard LAVILLIERS d’inviter Eric CANTONA, Izia HIGELIN, Gaétan ROUSSEL et HERVE, le gagnant de la catégorie 'Révélation masculine' des Victoires de la musique 2021. Ceux-ci interprétant à tour de rôle les différentes facettes de l’entourage du boxeur : le public, son manager, un journaliste, l’arbitre, son adversaire, pour clamer leur absence de responsabilité dans la mort de Davey More. Bien que le chant de cette version soit moins émouvant que celui de la version habitée de Graeme ALLRIGHT, le morceau n’en est pas moins très réussi. Il apporte du relief et de la variété en se posant comme un des moments marquants de Sous un soleil énorme.
Mais des moments marquants, cet album en contient d'autres. A commencer par "Les Porteños sont fatigués" à l'ambiance typée Morna qui évoque les difficultés quotidiennes des habitants de Buenos Aires. Puis "Le piéton de Buenos-Aires" dont le ton légèrement désabusé est porté par une trompette lointaine et un chant qui module habilement son expression. Les plus langoureux "Le cœur du monde", "Je tiens d’elle", "L’ailleurs", empreints de saudade et se révélant très touchants, n’ont aucun mal à nous emporter dans leur exploration des états d’âme de LAVILLIERS. Le très mélodieux "Corruption" et le plus sarcastique "Beautiful Days" sont autant de moments permettant de mesurer la qualité du travail accompli sur les arrangements.
Le chanteur n’a pas lésiné en matière de musiciens et d’arrangeurs. La liste des musiciens ayant participé à ce disque est assez éloquente, notamment en matières de cordes frottées. En s’attachant les services de Xavier Tribolet, Romain Humeau, Georges Baux, Michaël Lapie ou Victor Le Masne, il a clairement enrichi et étoffé son propos avec des arrangements musicaux d’une profondeur et d’une richesse méritant d’être saluées.

Pas de grosse révolution ni de surprise dans Sous un soleil énorme, mais un savoir-faire et une sensibilité qui font de cet album un excellent moment hors du temps, tout en beauté et en charme.