Un message laconique sur Internet en guise de promotion et un unique lien de téléchargement, voilà comment la sortie de L'Incoronazione Di Poppea nous fut révélée. On pourrait presque croire que Geir JENSSEN avait honte de son nouvel album, qui n'est d'ailleurs jamais sorti au format physique par la suite et dont la page Bandcamp a depuis longtemps été supprimée.

À l'origine de cet album, une commande de l'Ingun Bjørnsgaard Prosjekt (1), qui présentait en 2009 une nouvelle version de l'opéra baroque Il Nerone, ossia L'incoronazione di Poppea, du compositeur italien Claudio MONTEVERDI, et qui confiait à BIOSPHERE la réalisation d'une bande-son. Exercice encore inédit pour le Norvégien, alors plus habitué aux installations sonores éphémères et aux bandes originales de films qu'aux pièces de danse contemporaine. En revanche, accorder musique classique et musique électronique n'était pas une nouveauté pour lui. Dix ans plus tôt, le fantastique Shenzhou s'attaquait ainsi à l'œuvre de Claude DEBUSSY.

Geir JENSSEN procède d'ailleurs au départ de la même façon. Comme pour Shenzhou, il ne crée à proprement parler aucun son. Chaque piste est composée d'une courte boucle directement samplée sur l'opéra original, faisant ici office de matière première dans l'élaboration d'une œuvre tout à fait différente. Néanmoins, ces loops sont traités de manière à créer une onde oscillante et confuse. Quelques craquements et grésillements caractéristiques viennent encore renforcer notre impression d'avoir déterré là un vieux cylindre phonographique.

Un choix artistique surprenant, que l'on comprendra en s'intéressant à la destinée de Il Nerone, ossia L'incoronazione di Poppea. Composé en 1642, sa partition se perd à la mort de MONTEVERDI l'année suivante. Un premier exemplaire est retrouvé en 1888, mais il faut encore attendre 1930 avant qu'une seconde partition ne soit découverte et l'opéra interprété à nouveau. C'est cette idée d'œuvre miraculeusement sauvée que BIOSPHERE souhaite mettre en lumière au travers de ces échos altérés. C'est également un hommage au sampling encore parfois considéré ni plus ni moins que comme du 'pillage', mais devenant ici un formidable outil de préservation phonique, ressuscitant des sons et des œuvres tombés dans l'oubli.

Une approche intéressante pour un disque toutefois déroutant. Le traitement saccadé des échantillonnages aurait mérité d'être atténué et peut bien vite se révéler lassant sur certains morceaux. En cela, cette rencontre entre musique baroque et musique électronique est loin d'égaler la justesse de Shenzhou. Il y a bien quelques passages marquants, des envoûtants "Il Mio Tormento" et "Addio" à la magistrale "Rimanci In Pace", ainsi que des ambiances plutôt sombres et bien senties ("Trasformati", "Adagiati"), mais ne le cachons pas, L'Incoronazione Di Poppea est une œuvre relativement mineure dans la discographie de BIOSPHERE.