AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

En 2005, Jean-Pierre Mocky offre Grabuge ! au cinéma français, un de ses meilleurs films noirs mais dont relativement peu verront la couleur. Dans une ambiance parisienne à nouveau, Charles Berling, encore très en vue à l'époque, campe un employé de préfecture où il règne un trafic de cartes de séjour, ce qui ne manque pas d'attirer l'attention de la police, tout comme les meurtres commis dans le centre espagnol, où notre protagoniste adore justement se rendre et danser le flamenco... Outre Patricia Barzyk (Mme Mocky à la ville) et les habitués Dominique Zardi, Jean Abeillé etc (sans oublier madame Micheline Presle en séductrice blasée), le rôle du commissaire, à la fois très fin et bonhomme, est joué par Michel Serrault, sans doute l'un de ses meilleurs derniers efforts, onzième et avant-dernier pour Mocky. Un élément de choix dans lequel on apprécie une BO à la fois 'noire', jazzy, tango-hispano et précieuse par Vladimir COSMA. Niveau qualité, ce film est suivi de près, en termes temporels comme de qualité, par Le Deal (2006).

Cette fois, le protagoniste, Radius, est joué par Jean-Claude Dreyfus, une gueule parmi les meilleures de l'écran en Hexagone (jusque dans les pubs pour la marque d'aliments Marie à l'époque) et qu'on n'avait croisé que dans Bonsoir (1992) pour Mocky. Ce patron d'entreprise pétrolière voit son mariage battre de l'aile et, lors d'une dispute avec sa jeune épouse sur un pont de rivière en forêt (tournage dans les Yvelines alentour de Trappes), il tue cette dernière, sans voir qu'il y a un témoin. Jean-François Stévenin, qu'on a admiré en flic ripoux dans Y a-t-il un Français Dans la Salle ? (1982), campe ainsi un pauvre type qui fait chanter Radius. La police, à savoir Zardi en commissaire et Jackie Berroyer en détective, s'en mêle et tout cela entraîne une suite de quiproquos assez délicieuse au rythme des situations plus ou moins prévues, des grognements de Dreyfus... Avec aussi, en soeur veuve et hystérique de Stévenin, Alison Arngrim, qui jouait le rôle de Nellie Oleson, une des antagonistes de la série télé La Petite Maison Dans la Prairie. Du bon Mocky, vraiment !

Et il y a une spécificité, dès l'introduction du Deal, par rapport à tous les autres films. COSMA, qui pratique depuis quelques années auprès de Mocky l'exercice de la chanson unique, y compris dans Grabuge !, nous offre "La Ballade de Radius", répétée plusieurs fois dans le film sur des temps courts. Tandis que le refrain est dédié à Radius et "sa vie de con", le couplet propose des situations bien réelles et quotidiennes, avec un fond contestataire, sur les dérives patronales (incluant le fort peu apprécié contrat première embauche/CPE, voulu par le premier ministre Dominique De Villepin), la situation des SDF etc, toujours lié à une partie de l'action voulue par le scénario de Mocky et André Ruellan. Ce dernier écrit les paroles sur la musique de COSMA, très simple et qui va bien vous rester en tête ; et pour cause, car il ne s'agit pas que de musique, cette fois !

Déjà, on a voulu, pour cette chanson rigolote, donner un effet particulier du genre troubadour, et ce rôle revient à... RENAUD, le chanteur énervant en personne ! De retour sur le devant de la scène depuis 2002, son amélioration physique est tout à fait notable, juste avant un deuxième nouvel album (Rouge Sang, 2007) moins bon que le premier (Boucan d'Enfer, 2002) et une nouvelle longue descente aux Enfers. Autant dire que cette "Ballade de Radius" pour laquelle il s'accompagne (en playback) à l'orgue de Barbarie portatif, chansonnette méconnue qui le transforme en trouvère des rues modernes (il l'interprète en marchant doucement vers la caméra au milieu des cités et zones franches désertées de Saint-Quentin-en-Yvelines), n'est pas son effort le plus connu, même de ses propres fans. Et c'est dommage car à l'entendre (vocalement, RENAUD est irremplaçable) mais également à le voir ainsi, avec sa gapette, son long manteau, son jeans et ses Santiags, de quoi lui faire perdre trente ans, nous donner le sourire, on se demande si ce n'est pas son meilleur effort de l'époque... et depuis.

En dehors de ce petit coup de génie, tellement isolé dans l'oeuvre pléthorique de Mocky, Vladimir COSMA développe peu l'aspect musical pour ce film, comme si RENAUD, tellement inattendu, se suffisait à lui-même. Un piano valsé, nostalgique autant que guilleret et garni de staccatos/notes piquées, précède RENAUD pour le générique d'intro. On réentend un peu de tango pour la scène avec Abeillé et Berroyer (à noter le moment où celui-ci regarde le match de foot, on voit la foule du stade d'À Mort l'Arbitre, 1984), mais pas de jazz cette fois. À la place, du baroque quand Radius va voir son ami le prêtre par besoin de soutien (avec un propos Mocky toujours féroce sur les dérives du clergé avec les enfants, plus 'léger' que dans Les Ballets Ecarlates néanmoins), des cordes légères en valse durant une séquence de yoga collectif et onaniste féminin...

Un peu de musique 'world' avec tabla et tampura lorsque Dreyfus/Radius va acheter de la mort-aux-rats dans un magasin indien, un orgue doux et joli pendant l'enterrement de sa femme (mais sans corps) ; il y a même un moment où la "Ballade de Radius" est reprise en écho par des chiots dans une animalerie ! Bref, toujours haut en couleur, le cinéma de Mocky trouve dans les partitions de Vladimir COSMA une consistance supplémentaire et adaptée, quand bien même on se dit que tout ou presque repose sur la chanson (et ses clips rudimentaires), mieux que jamais. Heureusement qu'elle est là, et c'est peut-être cette association d'idées qui donne au Deal et donc Mocky un succès à la télé que ce dernier n'avait pas eu depuis longtemps. 3/5 mais 4/5 pour "La Ballade de Radius".