Les bonnes critiques ne suffisent pas toujours et le premier album solo de Nils LOFGREN peine à obtenir du succès. Bien que présent dans le Billboard 200 pendant quelques semaines, on est loin de la performance méritée, attendue. Pour Cry Tough en revanche, enregistré lui aussi à Los Angeles, aux Record Plant mais également sur la côte est aux studios Bias, dans les confins septentrionaux de l'état de Virgnie, la période est plus rose. Si l'album grimpe au top 50 américain, il apporte aussi à LOFGREN une notoriété certaine en Grande-Bretagne (8ème place !) et en Europe nordique, du côté des Pays-Bas mais aussi et surtout (somme toute logique, comme tenu de ses origines parentales) en Suède.

C'est clairement l'album d'un guitariste-leader qui ne veut plus s'enfermer dans sa forme de trio voire groupe simple (adoptée tout de même depuis le premier GRIN). Les deux autres musiciens de l'album précédent n'officient que sur trois titres, il y a le frérot Tom Lofgren qui avait figuré déjà au sein de GRIN et qu'on réentendait déjà sur le Nils live de 1976, mais pour le reste, ce dernier s'offre les grands moyens. On le remarque en particulier sur "It's Not a Crime", chouette composition pop-soft d'un caractère certain, avec des cuivres orchestraux sur une longue jam. "You Lit a Fire", ballade crépusculaire minaudante, incorpore joliment des cordes dans l'ensemble choeurs-piano-guitares claires.

Sur "Cry Tough", la chanson-titre, Nils LOFGREN le chanteur mène un bon développement blues à la rage contenue, plutôt séduisant pour une bonne partie, grâce aux différents apports rythmiques, aux choeurs gospel, et aussi parce qu'on sait qu'Al Kooper y joue des claviers, Chuck Rainey de la basse, Jim Gordon de la batterie et Emil Richards des percussions. Notre petit bonhomme, de plus en plus influencé par la soul pure mais aussi le rocksteady (credits, même à demi, d'artistes jamaïcains pour l'écriture de ce titre), voit les choses en grand, trop parfois, comme en témoigne une coda allongée et qui n'avait pas tant besoin de prouver son savoir-faire guitaristique quand le reste l'a si bien fait.

De même, si on avait apprécié la reprise du standard "Goin' Back" dans l'album précédent, celle de "For Your Love" des YARDBIRDS est moins compréhensible, malgré ses éléments noirs bien renforcés. Pour ce qui est en revanche de passer d'un reggae à un solo de guitare, il y a un choix que certains viendront admirer pour le professionnalisme de LOFGREN, ses influences chères, mais honnêtement la qualité ne va pas plus loin. À l'image de l'album, en fait, qui a au moins pour bon goût d'offrir "Jailbait" en guise de final, rock tribal superbe, aussi cool que rougeoyant. Sans être reluisante, "Incidentally It's Over", fournie en intentions et efficace, s'inscrit aux côtés d'un "Can't Get Closer" toujours appréciable avec son shuffle, son rapport chant/choeurs de toute beauté.

Ajoutons l'épique "Share a Little" et son groove blues relâché, une guitare saturée qui s'incruste pour notre plus grand bonheur, même si le solo dure un peu trop. La contrebasse s'illustre avec force sur la folk énergique de "Mud in Your Eye", hélas trop répétitif. C'est à croire que la productivité si rapprochée finit par amener Nils LOFGREN vers des oeuvres moins marquantes que ce qu'elles pourraient, ou alors dans lesquelles il tente des choses différentes. Après tout, c'est son dernier produit par David Briggs, fidèle depuis les débuts de GRIN, Al Kooper comblant les manques. Or nous verrons, un an plus tard, que le changement n'est pas forcément signe de sagesse.