En 2001, année du nouveau millénaire, la tournée de reformation du E STREET BAND s'est achevée depuis quelques mois, avec le succès énormissime que l'on connaît. Le Live in New York City, bien que tronqué, a été témoin de cette réussite artistique, avec un Bruce SPRINGSTEEN cinquantenaire mais d'une force toujours incroyable, idem pour le charisme, et le groupe s'est montré tel un modèle de stabilité et de brillance en termes musicaux comme amicaux, pour un public aux anges. C'était l'évidence même, ça devait se faire et continuer ensuite. Et puis, détail non moindre, on voit sur cette tournée, après une première 'annonce' (l'époque du Greatest Hits en 1995), Steven Van Zandt ET Nils Lofgren ; pour rappel, le deuxième remplaçant le premier à l'origine quinze années plus tôt, au plus proche du Boss. C'est le top, une affaire faite pour rouler, se propager aux temps à venir.

2001 n'est pas l'année de Nils LOFGREN en termes de retour durable à sa carrière solo (il faudra attendre 2020 et une pandémie pour cela), mais celle d'un album isolé. Il s'agit de Breakaway Angel, un titre fort. Toutefois, un album méconnu, autodistribué ou presque, sur le label Vision Music, créé par l'intéressé pour ses propres disques et déjà utilisé dans la B.O de Every Breath (1993). Il existe également une édition allemande de ce CD. En bref, la fan base est appelée mais il n'y a pas foule, et c'est bien dommage car on a affaire à l'un des trésors les mieux cachés de la carrière de Nils LOFGREN.

Comme d'habitude, notre bonhomme tient la plupart des instruments, mais il reste bien secondé, à la batterie par Mike Botts (batteur 'classique' de soft-rock au sein de BREAD dans les 70's notamment, et dont c'est ici peut-être la dernière participation avant son décès en 2005), en alternance avec Timm Biery qui sera également le nouveau batteur engagé sur scène. À la basse, le génial vétéran Leland Sklar, déjà repéré auprès tant d'artistes, notamment Phil COLLINS.

Ensuite, divers choeurs (pour "Without You", avec de nouveau la petite mademoiselle Tess Lofgren, mais sans ses frère et soeur contrairement au titre concerné de l'album précédent) et instrumentations ponctuelles, notamment la pedal-steel guitare de Jeff 'Skunk' Baxter (DOOBIE BROTHERS, STEELY DAN et, on se le rappelle, producteur de Night Fades Away pour mister Nils vingt ans plus tôt), invité ici sur "I Found You". Un titre trucker d'apparence plutôt tranquille, mais aux choeurs féminins splendides et au pont si incroyable.

Toutefois, le trio Nils (guitare et claviers en plus du chant)-basse-batterie s'avère ici être un quatuor, grâce à la présence encore plus inattendue de Christine Vivona, harpiste, remplacée seulement sur "Tears Ain't Enough" par Holly Avesian et pour un résultat certainement pas moindre, aux côtés du parrain de la six cordes, acoustique de préférence. Une belle couleur pour ce disque fait d'élégance, surtout qu'une country ballade telle que "Love a Child" où la harpe de concert n'est pas monnaie courante ! Et que dire de "Puttin' Out Fires" en introduction, rhythm'n'blues porté par master Sklar, rondement ficelé avec des arrangements personnels, harpe et synthés-cordes compris, kalimba aussi par l'entremise de Nils ? Sans oublier ce refrain beau et rêveur, chanté en douceur.

L'album possède, comme d'autres, des longueurs du fait que LOFGREN confond toujours un peu studio et live, ou alors pour des morceaux comme "Cryin' Tonight", bluette stand-by-me-esque qui traîne un peu, mais on ne saurait trop s'en plaindre tant l'ensemble est beau. Cela comprend les reprises, "Driftin' Man" de son ami Lou REED qui est en fait "Stupid Man" sur l'album Bells (1979) auquel il avait si bien participé et où il met l'accent sur les percussions, ainsi que "All I Have to Do is Dream" rendu si célèbre grâce aux EVERLY BROTHERS. Cette dernière convient parfaitement à Nils, chanteur gentil, bien aidé par la harpe et orné d'un superbe duo guitare/basse lors du solo.

LOFGREN, très fleur bleue en termes musicaux qui le placent haut dans la sphère de distinction, nous offre deux slows magnifiques, "Love You Most" et "Heaven's Answer to Blue", ponctués de guitare classique et de harpe. "I Can't Fly", ballade nostalgique et aérienne, se voit survolée par un cor d'harmonie. À côté, on a "The Hill", tentative reggae de belle facture avec basse goulue de Sklar, toujours avec de la harpe aussi bien céans que du marimba, sachant que l'on réentend ce dernier sur le pop-rock californien de "Without You", un des rares titres avec une guitare électrique audible. Nils croone avec délice et les choeurs d'enfants (dont sa fille Tess) lui répondent en suscitant l'engouement.

Deux titres enfin retiennent l'attention. D'abord, l'aventureux "Seize Love" aux influences latines évidentes mais aussi plutôt denses, grâce en partie aux introduction et (dans une moindre mesure) conclusion à tomber, avec des allongements musicaux d'une ambiance folle, non sans pureté cristalline. Enfin, "Open Road" qui termine l'ensemble en bravoure folk acoustique presque des plus humbles, puisque garnie d'harmonica autant que de picking, de percussions (glockenspiel compris) et de claviers amples discrets. On pense à quelqu'un d'autre, forcément ! Et de là, une question qui mériterait vraiment réponse positive : quand Nils LOFGREN fera-t-il son Nebraska ou son The Ghost of Tom Joad ? En attendant et entre autres choses, cela prouve l'excellence d'un tel disque.