Depuis Blue With Lou, la période Covid s'est étendue mais il était difficile de penser que ce serait un frein également pour un artiste comme Nils LOFGREN, aussi prolifique. On pensait que, sitôt les contraintes levées (elles lui avaient causé quelques problèmes en pleine tournée du E STREET BAND pour l'album Letter to You, en 2021), il allait direct nous abreuver de publications. Au final, outre l'hommage à son ex-voisin en Arizona, l'auteur de romans policiers Clive Cussler (décédé fin février 2020, au début des 'festivités'), en publiant le titre cajun-country frais "Whatever Happened to Muscatel?" qu'ils ont écrit/chanté ensemble, lui-même a dû attendre encore un peu, et 2023 marque son grand retour.

Deux albums, dont un en collectif. Ce dernier est en effet un choix un peu étrange signé MOLINA, TALBOT, LOFGREN & YOUNG, réunissant le batteur, le bassiste, l'ancien et nouveau guitariste du CRAZY HORSE (puisque Nils y a retrouvé sa place très tardive en 2018, lorsque Frank Sampedro s'est retiré) pour trois compositions chacun tandis que le leader, Neil YOUNG, se contente d'une seule. L'autre, plus personnel, se nomme Mountains.

Il est rare de voir des pochettes aussi bariolées dans le bons sens et contemplatives chez LOFGREN, cela change de certains gribouillis venus supplanter les photos-portraits auparavant ! En tout cas, le disque est distribué, tout comme le précédent (ainsi que d'autres sorties parallèles, compils etc) est édité sur son nouveau label perso, Cattle Track Road. Et dès les premières mesures, à l'écoute, on remarque vite qu'il a été enregistré en mono.

À cette texture soyeuse qui donne une bien jolie couleur à l'ensemble, il faut ajouter la présence de musiciens-amis, comme toujours et qui parfois, reviennent de loin. Outre la plupart des instruments dont il joue lui-même par tradition de longue date, on retrouve le temps de deux titres et comme sur Blue With Lou en 2019 son cher trio des années 80/début 90 avec Andy Newmark et Kevin McCormick, ce dernier jouant sur deux titres supplémentaires dont "Back in Your Arms" avec le grand Luis Conte aux percussions et le batteur Timm Biery, engagé pour l'album Breakaway Angel (2001).

Dernier titre où LOFGREN ne joue pas la batterie lui-même (rajout tardif à sa palette sonore-maison), "Ain't the Truth Enough" beau titre californien aéré avec son chant profond, son joli riff harmonisé et un orgue Farfisa légèrement trop présent, est soutenu par la présence de Ringo STARR. On retrouve ce dernier aux choeurs de façon étonnante aux côtés de Nils pour "We Better Find It", en falsetto très féminins-enfantins, mais pour un résultat excellent sur un rhythm'n'blues de bravoure.

De même, l'illustre Neil YOUNG en personne est invité sur "Nothin's Easy", ballade folk ample en accords solaires (première de l'album à faire intervenir la guitare acoustique) que LOFGREN, grand amoureux septuagénaire à présent, dédie à sa chère et tendre Amy, co-productrice de l'ensemble ici. Et c'est non sans émotion que l'on entend le regretté David CROSBY (mort début 2023) en seconde voix sur "I Remember Her Name" (clin d'oeil à l'album classique de Croz', If I Could Only Remember My Name en 1971 ?). Un titre faussement rêveur au départ, au funk-groove-folk bien fourni en refrains majestueux, cordes-synthés et qui sonne éperdu. Éperdument beau !

Le reste du temps, Cindy Mizelle (SEEGER SESSIONS BAND puis E STREET BAND à l'instar de beaucoup de choristes entourant Bruce 'the Boss' depuis vingt ans) occupe la première place aux côtés de LOFGREN, comme c'était le cas sur Blue With Lou. Si cela fonctionne bien pour "Ain't the Truth Enough", le résultat est plus contestable pour les titres suivants, avec un côté soul parfois forcé. C'est d'ailleurs un reproche que l'on peut faire à Mountains, bonne ambiance mais surproduite, avec quelques maladresses (selon titre et pochette) dans l'envie de regarder en haut, de côtoyer les cimes.

Et si c'était une clé d'inspiration pour échapper au Covid, on remarque le caractère 'étouffé' des batteries compressées et autres, parfois très lissées (même si Nils lui-même joue plutôt bien notamment des balais comme sur le titre avec Neil). A contrario, cela fonctionne parfois très bien : "Only Ticket Out" avec le duo McCormick/Newmark très en avant et la voix granuleuse qui résonne comme sur les Rocheuses enneigées (pour changer du désert), idem pour le shuffle blues aux guitares roulantes et nerveuses de "Won't Cry No More", dédié au regretté Charlie Watts, batteur des ROLLING STONES 'parti' en 2021... Pour rappel, LOFGREN avait déjà adressé une 'love-song' à un membre éminent de ce groupe en 1975, "Keith Don't Go".

En dehors de ces quelques titres enlevés et rugueux, l'élévation peut se faire aussi dans la douceur, grâce à "Only Your Smile" conduit par un piano folk lent, à la mélodie caressante et caressée elle-même par la contrebasse veloutée du jazzman mythique Ron Carter. "Angel Blues" termine l'album dans une élégance rose smoothy et superbe à la Breakaway Angel (2001) et pour cause, LOFGREN y convoque sa harpiste de l'époque, Christine Vivona, toujours aussi remarquable jusqu'au final féérique !

En revanche, on peut rester plus dubitatifs concernant "Back in Your Arms", qui semble être une réponse au possible "ben alors Nils, un album complet dédié à des reprises de Neil YOUNG il y a quinze ans (en 2008), de quoi plaire à l'intelligentsia rock-Greenpeace, et toujours rien pour SPRINGSTEEN, plus 'folklo-populaire' certes (selon la même intelligentsia rock) mais qui a tout de même beaucoup aidé à te faire connaître ?"

Dans une oeuvre aussi large qu'identitaire, rock et folk, le choix de cette ballade soul inédite de 1995 (époque du Greatest Hits) que le Boss a ressortie pour l'album High Hopes en 2014 demeure étrange, même pour un Nils qui sait se montrer doux sans mal. Jolie de base, elle l'est ici aussi mais la surcharge gospel en chorale demeure un point à ajouter aux quelques défauts de Mountains. Disque affranchi, fait de bric et de broc comme souvent avec LOFGREN mais pas de ses meilleurs, malgré une bonne moitié de titres comme les deux premiers, "Nothin' Easy (for Amy)", et les trois derniers, éblouissants de classe pour un artiste-bon camarade aux 72 ans passés.

Note réelle : 3,5