J'ai la chance d'avoir encore dans mon entourage un grand-père. Un grand-père légèrement vicelard, le regard en coin, guettant sans cesse le vent fripon qui fait se retourner les jupes des filles. Un aïeul mordant la vie à pleines dents (grâce à son râtelier flambant neuf), espiègle et à l'allure aussi vive que l'esprit. Comme si la sagesse, cette caractéristique noble et pesante qui semble nécessairement associée aux gens d'un âge canonique, n'avait sur lui qu'une légère emprise, lui permettant de savoir où mettre les pieds, mais ne l'empêchant pas de les foutre dans le plat dès que bon lui semble. Un de ces vieux qui s'éteignent un jour, dans leur lit, une mèche blanche sur le front et un léger sourire en coin. Une vieillesse dorée que tous les jeunes cons aimeraient avoir.

Les gonzes de FAIRPORT CONVENTION sont vieux eux-aussi, et me rappellent en de nombreux points mon grand-père. 45 ans de carrière derrière eux, et pourtant ils n'en ont pas encore assez. Ils continuent, l'expression rigolarde et le savoir-faire en bandoulière, à transmettre à chacune des générations qu'ils côtoient leur folk britannique, un genre qu'ils ont contribué à populariser à la fin des années 60, donnant l'impulsion de ce « revival folk » qui perdure encore aujourd'hui au pays du Prince Charles (qui, soit dit en passant, a pour sa part toutes les caractéristiques du grand-père rasoir). Pour les vicissitudes et les aléas qui ont marqué la carrière du mastodonte, je vous invite à consulter Cacapedia ou son site officiel, tout y est. Car en plus, notre vieux routard édenté ne se rappelle pas à notre bon souvenir pour nous raconter les siens. Oh que non, il est même là pour en créer de nouveaux, son livre de contes flambant neuf sous le bras.

Le grand-père frotte sa moustache et nettoie ses lunettes. Même s'il sait très bien où il veut en venir, il prend le temps de laisser s'installer une ambiance propice, et ne brusque pas le temps. A son âge, le temps abonde. Le vioque distille, une heure durant, quelques histoires croustillantes. Oh, c'est certain, le vieillard distrait se prend à radoter, et nous ressort quasiment mot pour mot certaines anecdotes passées, les présentant simplement dans un nouvel emballage. Allez, s'il faut prendre les vessies pour des lanternes afin de faire plaisir à grand-papa, ce sera bien volontiers. L'ancêtre somnole parfois (le petit coup de gnôle de fin de banquet aidant) et l'on s'assoupit délicatement avec lui. Car les histoires du barbon n'ont pas grand chose à voir avec celles de Tartarin de Tarascon. Bien sûr, il nous raconte ses histoires de longs voyages autour du cap Horn, mais le ton laisse à penser que, plus que l'ivresse de l'océan, c'est bien celle du rhum et des jeunes entraîneuses qui a rythmé son périple. Il est plutôt question de veillées à la bougie, de vieilles guitares, de cloches d'église et d'anecdotes rurales qui rythment la vie des campagnes de la Perfide Albion. Rien de bien palpitant. Mais cette manière légère et détachée de narrer les choses génère un intérêt insatiable, et aux phases de micro-sieste succèdent de longues plages marquées par un recueillement quasi-religieux.

Décidément, grand-père FAIRPORT sait y faire, et bien heureux serait celui capable de deviner son âge à l'écoute de ses histoires. Il est vrai que le bonhomme accuse le poids des ans, mais se porte encore bien pour son âge. Le regard espiègle, et un sourire en coin...