La machine est lancée : après A Broken Frame, qui a défini les bases thématiques du nouveau DEPECHE MODE, et l'expérimental Construction Time Again celles du son, voici le plus assuré Some Great Reward qui fusionne les deux opus précédents, et marquant un début de reconnaissance aux Etats-Unis. Le déclic se produit avec "People Are People", single qui reçoit un excellent écho international. Le meilleur accueil depuis "Just Can’t Get Enough", la différence justement se faisant au niveau des States qui jusque là ignoraient les Anglais.

L’ensemble est très homogène et plus mature. De "Something to Do" à "Blasphemous Rumours", toutes les chansons ont leur place, ont quelque chose à dire et le disent d’une très belle manière. Sur le plan vocal, on constate aussi un changement : la voix de Dave Gahan a gagné en maturité, son timbre grave et profond sied parfaitement aux ambiances développées dans ce disque.
L’album démarre en trombe avec l’hypnotique "Something to Do", très martial, presque agressif. L’influence 'robotique' de KRAFTWERK ou de EINSTUERZENDE NEUBAUTEN se fait clairement sentir. DEPECHE MODE devient à cette époque le plus allemand des groupes anglais, avec un album enregistré à Berlin où habite également Martin Gore qui se nourrit de toute la scène avant-gardiste de l’époque.
"Lie to Me" s’avère le morceau le plus dansant de l’album, aux côtés de "People are People" et de "Master and Servant", avec sa rythmique assez 'funk' (style qui cartonne à cette époque) mais avec une élégance typique du groupe qui la rend bien différente de celle pratiquée par KOOL & the GANG et consorts.
Alan Wilder y glisse une de ses compositions (ce sera la dernière fois). Elle n’a pas à rougir face à celles de Gore au point que "If You Want" s'avère l’un des meilleurs titres de l'album, à la montée en puissance des plus excitantes.
Un seul morceau, "Story of Old" semble un peu à la traîne, non qu’il soit mauvais, il est même très accrocheur, mais l’ambiance qui s’en dégage renvoie au passé du groupe plus qu’elle n’annonce son futur.
A côté de ces titres pour la plupart rythmés, on trouve des ballades chantées par Martin Gore dont l'humeur romantique remonte à la surface. "It Doesn’t Matter" et surtout "Somebody" aèrent l’album, lui confèrent un peu de chaleur et l’amènent vers d’autres ambiances, à mille lieues d’un "Master and Servant".

L’album ne serait bien sûr pas le même sans les deux gros succès que sont les provocants et dansants "Master and Servant" (thématique du sado-masochisme) et "People Are People" (chanson en guise d’appel à la tolérance dans une société qui se replie sur elle-même). N'oublions pas non plus une des œuvres les plus abouties du groupe : le froid et pessimiste "Blasphemous Rumours", censuré à l’époque pour sa critique de la religion. Ces trois titres ont depuis été si samplés et pillés que vous en connaissez forcément au moins un refrain, une intro.

DEPECHE MPDE, qui commet ici un sans faute, maîtrise désormais son propre style qui trouvera son apogée dès Black Celebration, meilleur album du groupe à mon sens. Avec Some Great Rewards, le constat est clair : un succès public planétaire, et (presque) critique, sans précédent jusque là dans la carrière des Anglais.