J'imagine la tête d'un cadre de Polydor (appelons-le Régis) quand il a entendu le premier FAUST. Sans doute espérait-il un jeune groupe aux idées novratrices et impertinentes, mais qui pouvait vendre, sans compter l'excuse de la jeunesse. Au lieu de ça, voilà qu'a débarqué un disque foutraque et anarchique, composé de collages et de délires vocaux jusqu'à plus soif. Pour sûr que Régis et ses collègues ont mal réagi, d'autant plus que l'album ne s'est pas vendu des masses, malgré des critiques positives. Polydor prend alors la décision de forcer FAUST à réaliser un album plus écoutable, et surtout plus vendable. Triste décision encore trop prise, y compris (surtout ?) de nos jours. Sauf que FAUST ne peut pas, ne veut pas répondre aux desiderata de sa maison de disques. Non, FAUST continuera de torturer les oreilles de ses auditeurs, qu'on le veuille ou non.

Enfin, presque... Force est de constater que So Far, son deuxième opus, est celui de l'eau dans le vin. Les compositions, en plus d'être plus courtes, sont effectivement plus accrocheuses, ou plutôt moins vrillantes pour les tympans. Mais tout est relatif : FAUST n'a pas cédé à l'appel des marchands du temple, il se contente de vaguement montrer un effort, tout en continuant dans son krautrock incomparable. Polydor s'en mord les doigts, ce qui explique le départ de FAUST peu de temps après la sortie de So Far.

Assez parlé guerre art/commerce cependant, ce qui importe, c'est la musique. FAUST a donc adouci sa musique, sans pour autant sacrifier son art. Il le prouve d'ailleurs dès le début avec "It's a Rainy Day, Sunshine Girl". Tout n'y est que répétition pendant sept minutes, que ce soit la batterie métronomique de Zappi, la guitare abrasive de Rudolf Sosna ou le piano monotone. Et pourtant, ça fonctionne, notamment en épiçant le tout à coups d'effets sonores pertinents. Le point d'orgue de So Far reste néanmoins "No Harm". Commençant de manière calme et émotive, il dérive bien vite en numéro punk virulent et rageur, qui marque au fer rouge. On peut néanmoins regretter qu'il dure un peu longtemps.

Plus loin, FAUST apporte une nouvelle preuve de son importance dans la musique électronique, entre autres, avec "Mamie is Blue". Dans une ambiance assez glauque, les synthés imposent une atmosphère résolument indus, et la guitare achève de rendre le tout délicieusement dérangeant. FAUST a bel et bien répondu aux exigences de Polydor, mais en empruntant un chemin pas moins délirant que le précédent. Mais afin de montrer sa bonne foi (je suppose), FAUST se livre à un charmant interlude acoustique, "On a Way to Abamäe", qui ne mange pas de pain et s'écoute sans problème.

Le principal souci de So Far réside en vérité dans les morceaux suivant "Mamie is Blue", assez anecdotiques et peu intéressants. Mais sur 40 minutes d'album, ça en fait 7 de moins, on a vu pire. Les précédents morceaux, tous efficaces et très bien pensés, montrent une nouvelle fois le talent de FAUST. D'ailleurs, de nos jours, il est montré comme un album réussi par de nombreux amateurs, bien qu'il vive dans l'ombre de Faust et Faust IV. À l'époque de sa sortie, autre son de cloche : Polydor jette l'éponge et vire FAUST qui doit se trouver une nouvelle maison de disques. Ce sera Virgin qui comprendra bien vite qu'elle n'aurait peut-être pas dû prendre le premier groupe expérimental venant frapper à sa porte.