MARILLION a su façonner sa musique sur la durée, au mépris des modes et des comparaisons, désamorcer bon nombre de pièges et déjouer les prévisions hâtives. Pourtant, force est de constater que ses débuts ne sont pas très convaincants. Son art ne relève ni de l’audace ni de l’invention, mais de la sensibilité, or celle-ci ne peut s’épanouir qu’avec un langage personnel, mûri et maîtrisé. MARILLION ne se trouvera complétement qu'avec Clutching at Straws. En attendant, il joue une partition qui n’est pas la sienne ; enfant bâtard de GENESIS et VAN DER GRAAF GENERATOR.

Passons sur "Grendel" qui relève pratiquement du plagiat et qu’on mettra sur le compte de la jeunesse. Script for a Jester’s Tear est un disque moyen qui jouit cependant d’un statut historique indéniable, marquant la renaissance d’un mouvement que l’on croyait mort. Fugazi est beaucoup plus dispensable. Il ne montre aucune évolution significative et n’a pas l’aura du précédent pour excuser ses carences. Avoir des influences est une chose, les digérer en est une autre. S’il partage les objectifs de ses glorieux aînés, son vocabulaire manque cruellement de personnalité. Kelly siphonne le patrimoine banksien à fond de baril et Fish emprunte ses inflexions à Peter Hammill et sa théâtralité à Peter Gabriel. Plus largement, le groupe se fond dans une esthétique sans prise de distance ni esprit critique, et l’on peine encore à y discerner son apport personnel au-delà de la simple réactualisation du son.
Paradoxalement, Fugazi confirme un groupe doué qui parvient par ses seules compositions à sauver un disque bien trop caricatural pour prétendre à l’excellence. Sens de la mélodie ("Fugazi"), du drame ("Jigsaw"), du climat ("She chameleon"), de l’efficacité ("Assassing"), de l’équilibre ("Incubus"). MARILLION cumule les compétences, mais cela ne suffit pas à en faire un grand groupe, encore moins un grand disque. La forme est trop rudimentaire pour une oeuvre aux prétentions artistiques : une production marquée par son époque, des arrangements pas assez fouillés et un manque de feeling. Mosley a beau surclasser Pointer, sa prestation n’atteint pas des sommets de raffinement et le mixage n’est pas là pour l’aider. Fish force l’expressivité et n’a pas encore intégré le mot 'retenue' à son vocabulaire. La ligne de basse, relativement pauvre, manque de fluidité. Seul Rothery, qui commence à donner du souffle à un jeu encore rigide, s’affirme comme l’élément le plus lyrique d’un orchestre un peu scolaire.

Malgré l’émergence de formations concurrentes (TWELFTH NIGHT, PENDRAGON, IQ, PALLAS), MARILLION fait la différence par son talent d'écriture et une intelligence artistique qui doit plus à l’humilité qu’à l’ambition. Pour l’heure, le groupe tolkiennien en est encore au stade où il faut montrer pour émouvoir. En 1984, MARILLION pratique un progressif du pauvre, trop schématique, trop lisible, et Fugazi apparaît comme la pièce la moins essentielle de son évolution. Un disque mineur.