Dans la discographie de CAN, les compilations tiennent un rôle assez important, contrairement à n'importe quel groupe de rock lambda. Plus que de bêtes rassemblements épars de morceaux déjà édités, des albums comme Unlimited Edition ou The Lost Tapes s'imposent comme des incontournables, de par la quantité d'inédits intéressants et dont la qualité n'est pas à contester. Pour peu que l'on connaisse son CAN, ces compiles s'imposent à l'achat, c'est une évidence.

Mais CAN a aussi déjà donné dans la compile inutile. En 1976, alors que le groupe sort Unlimited Edition, voilà que débarque Opener, un vinyle d'à peine 40 minutes qui effleure l'oeuvre de CAN sans s'y pencher sérieusement. Deux ans plus tard, CAN récidive avec Cannibalism au nom aussi saugrenu que la pochette est horrible. Le contexte est cependant différent : Out of Reach s'est mangé un four (bien mérité), et CAN ne veut pas laisser une piètre image à ses auditeurs (ce sera raté). D'où l'élaboration de (i]Cannibalism qui permet en outre de se replonger dans les premières années du groupe, quand Malcolm Mooney puis Damo Suzuki étaient en résonance complète avec le noyau teuton. Autre élément plus récent, si Cannibalism arrive de nos jours à trouver grâce aux yeux des gens, c'est qu'il a inspiré un certain Josh Homme au début des années 2000, qui s'est senti revigoré par cet album, bien qu'il fût déçu de constater que la musique qu'il comptait 'créer' existait déjà. Au moins cela prouve-t-il que CAN était en avance sur son temps, ou du moins on ne peut plus novateur.

Cannibalism est une compile somme toute classique, avec des morceaux tous issus des albums sortis entre 1969 et 1974. On note très vite, d'une part, que presque tout Monster Movie est représenté, d'autre part, que bien des morceaux ont été tronqués, compile oblige. À ce jeu, échappe cependant "Yoo Doo Right" qu'on pourra apprécier ici dans toute sa splendeur krautrock. Quant aux morceaux choisis, la sélection n'est pas mauvaise mais peu pertinente dans le cadre d'une première approche. Si, par exemple, un extrait de "Soup" est choisi, ce dernier issu de la partie expérimentale du morceau n'interpellera pas grand-monde, présentée comme ça. Tronquer "Halleluhwah" est également une erreur, et ne restitue pas la puissance insidieuse de l'un des pavés de Tago Mago – idem pour "Aumgn". Constat inverse pour "Dizzy Dizzy" qui bénéficie d'un élagage bienvenu.

Pour son caractère initiatique (le guide pour bien commencer CAN, en quelque sorte) et l'influence qu'il a eue, Cannibalism mériterait bien un avis positif, voire une recommandation. Cependant, il s'agit là d'une compile qui n'a pas compris l'essence-même du groupe, et ne fait que restituer des échantillons, dont certains sont tronqués. S'il faut commencer CAN, mieux vaut se pencher sur un album qui présente le groupe aussi bien de manière accessible qu'en exhibant le côté expérimental. Ça tombe bien, un tel disque existe, et il s'appelle (i]Ege Bamyasi.