Voilà enfin un album français de duos extrêmement réussi ! L'exercice est devenu monnaie courante depuis le début du troisième millénaire, mais il n'y a pas tellement d'exemples aussi notables.

Les stars des années 60, 70 ou 80, voyant leur âge avancer, souhaitent se retourner sur leur carrière et, plutôt qu'une énième compilation basique, invitent d'autres artistes plus ou moins connus de leur génération, des plus jeunes. Et dans le cas de Michel DELPECH, qui franchit une nouvelle barre de décennie, c'est une très bonne chose. Avec l'aide du musicien et producteur Jean-Philippe Verdin, aussi connu dans le milieu electro sous le pseudonyme READYMADE FC, ils arrivent à un disque d'or bien mérité (deuxième pour Verdin après LA GRANDE SOPHIE en 2003) en termes de ventes.

L'occasion est belle pour réenregistrer les tubes (pratiquement tous), une poignée de titres moins connus (faces B de 45-tours souvent) et, pour cela, de faire appel à des gens de qualité : Michel JONASZ, Alain SOUCHON, CLARIKA, Barbara CARLOTTI, Laurent VOULZY pour ne citer qu'eux et elles. Pour bien l'avouer, il y en a aussi que j'ai bien du mal à défendre habituellement, comme Julien CLERC, BENABAR et CALI, mais qui ici fournissent un effort honorable.

Sauf CALI. D'accord, "Pour un Flirt" gagnait sans doute à être un peu plus fun, moins linéaire que sa version d'origine. Pierre VASSILIU de son côté ne se gêne pas pour détonner par rapport au beau chant de DELPECH et y aller de sa gouaille sur "Pour gagner des sous", chose qui en vaut la peine. Cependant, CALI est faux mélodiquement, ses bêtises sont vite énervantes, on croit qu'il va rétablir dès le second couplet mais la fin dit le contraire. Derrière ensuite, ils ont cru bon de garder, ok. Vraiment dommage quand même, alors que tout le reste est réussi, jusqu'au fiddle/violon folk !

Et tout le reste, c'est aussi l'ensemble des duos. Que les chansons s'accordent naturellement avec l'esprit de l'invité, ou qu'il y ait eu réarrangement pour l'occasion, ça fonctionne d'un bout à l'autre. BENABAR (alors au summum de sa popularité), se prête bien à "Chez Laurette", où même les choeurs féminins sont plus appréciables que ceux d'origine ; et en fait de choeurs féminins, pour tout l'album là encore, il y a de quoi combler les manques des disques précédents de DELPECH.

La voix chevrotante de Julien CLERC vient nous surprendre au début du "Chasseur", et les guitares sonnent bossa car cela fait partie de son précarré, mais c'est très joli, avec ces cordes hivernales, le vibrato dont DELPECH use dans son chant comme jamais. "Pour gagner des sous" épouse la bossa à son tour, avec VASSILIU en meneur de voix féminines délicieuses. On apprécie également le talent et la soul de JONASZ sur la nouvelle reprise de "Trente manières de quitter une fille" (Paul SIMON) qui gagne en groove, avec un duo orgue Hammond-synthé VCS3 en promenade de santé, sans oublier le banjo inattendu.

Les cordes, les flûtes traversières et la guitare électrique fournissent à leur tour une orchestration splendide à "Toutes les filles" (face B des "Aveux" en 1973), où Hubert Mounier de L'AFFAIRE LOUIS TRIO fait son crooner aux côtés de DELPECH. La pop jazzy de McCARTNEY est mise à l'honneur sur "L'amour en wagon-lit" ainsi que "Et Paul chantait 'Yesterday'", respectivement chantées avec les excellentes CLARIKA et Barbara CARLOTTI, tandis que remontent les cuivres et le sax baryton de Michel Gaucher, solo de mandoline par Eric Sauviat en prime. C'est superbement ficelé en termes d'intervention, de musicalité.

Revenons aux tubes. Seuls pouvaient figurer Francis CABREL pour "Le Loir-et-Cher", titre à guitares blues-rock et à consonances régionales (un peu moins d'énergie qu'en 77, mais piano Wurlitzer, batterie roulante au top) ; Laurent VOULZY pour "Wight is Wight", l'esprit rêve flower-power qu'il affectionne (et ces choeurs dans une autre tonalité à la fin !).

Il convient d'y ajouter "Loin d'ici", unique repêchage des années 80, complètement transfiguré et splendide, par un trio folk guitare acoustique/DELPECH/Alexandra ROOS de la plus haute élégance. Enfin, le producteur READYMADE use de ses bidouillages electro/trip-hop tout en gardant la couleur soul à l'ancienne pour une version de "Si Marianne était jolie" que je préfère même à l'originale. Ces choeurs féminins, raah ! Grande classe, Monsieur DELPECH, et joyeux 60 ans !