La pochette est intrigante : des hommes à la peau sombre trimballent ce qui semble être une sorte de serpent géant et, en arrière-plan, apparaît le décor d’une ville. C’est laid, mais intriguant. Nous sommes en 1975 et Joni MITCHELL saute à pieds joints dans sa période la plus avant-gardiste. La pop-jazz de Court & Spark date d’à peine un an, mais semble remonter à une éternité tant la chanteuse s’est immergée dans le milieu du jazz, laissant même de côté la folk qui l’a fait connaître. Nous sommes plus proches d’Herbie HANCOCK, Miles DAVIS ou encore RETURN TO FOREVER que de Bob DYLAN ou Neil YOUNG.

Et pourtant, la plupart des morceaux sont issus des sessions d’enregistrements de Court & Spark, des démos laissées de côté pour être ensuite remaniées et repensées dans ce nouveau moule : les morceaux sont volontiers plus longs, les parties instrumentales s’étendent, les instruments sont plus nombreux, les mélodies plus complexes et moins accessibles. Un changement mal perçu d’abord par les critiques qui applaudissent les paroles mais pas la musique, avant que la patine du temps ne leur fasse faire un virage à 180°.
C’était pour Joni MITCHELL l’occasion de s’essayer à autre chose et de découvrir ce qui ne tardera pas à devenir une pratique incontournable : le sampling. La pratique du sampling telle que nous la connaissons aujourd’hui a véritablement commencé à la fin des années 60, surtout grâce aux groupes de krautrock, toujours prêts à expérimenter, mais notre Joni préférée est l’une des premières artistes grand public à utiliser cette technique sérieusement. Elle se retrouve sur le morceau "Jungle Line" et emprunte une partie de percussions aux WARRIOR DRUMS OF BURUNDI, le tout avant que Paul SIMON, Peter GABRIEL ou les TALKING HEADS ne popularisent la World Music. Joni était trop en avance et allait trop loin pour son public.

A l’exception du single "In France They Kiss Main Street", elle ne ménage pas son public. Même ses paroles deviennent plus complexes en se rapprochant de l’avant-garde poétique qui pratique le stream of consciousness à tout va sur "Edith and the Kingpin", un hommage au DOUANIER ROUSSEAU sur la déjà citée "Jungle Line", un autre à Scarlett O’HARA sur "Shades of Scarlett Conquering" ou la plus sarcastique de toutes, "The Boho Dances", qui se moque de tous ceux qui lui reprochaient de chercher le succès plutôt que l’intégrité artistique (des arguments vieux comme le monde). La surprise pour eux à dû être de taille lorsqu’ils se sont retrouvés pour la première fois face à cette musique dissonante, ses percussions et sa basse omniprésente au premier-plan, alors que les guitares sont reléguées à l’arrière. Pour paraphraser le journaliste Stephen HOLDEN de Rolling Stone ; lisez le livret puis jetez le disque.
Avec le recul, les avis sur The Hissing of the Summer Lawns sont plus mesurés. C’est un bon album, audacieux et inventif, comme il faudrait en voir plus souvent de la part d’artistes du calibre de Joni MITCHELL. Il contient de très bons morceaux, même si plusieurs écoutes sont nécessaires pour bien les apprécier.