Ce dixième album de Joni MITCHELL a une importance particulière pour les fans de jazz : il s’agit du dernier projet sur lequel a collaboré le grand Charles MINGUS, malheureusement emporté beaucoup trop tôt par la maladie de Goehring en 1978, peu de temps avant que l’album ne soit fini. La rencontre entre les deux, qui semble si pertinente après coup, se fait alors que MINGUS travaille sur un projet ambitieux, celui d’adapter en musique les poèmes Four Quartets de T.S. ELIOT pour un orchestre. Impressionné par l’œuvre lyrique de MITCHELL, il lui demanda de l’aider à les condenser, ce à quoi elle lui répond qu’il serait plus facile de condenser la Bible -chacun des poèmes comprend cinq sections qui traitent beaucoup de religion, mais aussi du rapport de l’Homme au divin, au cosmos. Une œuvre tout aussi fascinante que foisonnante et difficile d’accès.
Ils arrivent quand même à collaborer lorsque MINGUS lui fait écouter les mélodies qu’il a préparées à l’occasion. Ces six thèmes intitulés "Joni I" à "Joni VI" font bien plus que la séduire puisqu’ils l’aident à sortir du syndrome de la page blanche dont elle souffre depuis la sortie de Don Juan’s Reckless Daughter. Plutôt que d’adapter Eliot, ils décident de travailler ensemble sur leurs propres compositions.

L’enregistrement du disque est compliqué : Mingus est peu présent à cause de sa maladie. Heureusement, ils peuvent compter sur l’aide des musiciens, une belle brochette comprenant les fidèles Jaco PASTORIUS, Wayne SHORTER et Peter ERKSINE, mais aussi Herbie HANCOCK, rien que cela ! C’est d’ailleurs la première réunion entre SHORTER et HANCOCK depuis l’album Native Dancer du premier, de 1974. En fait, la maladie de MINGUS forme la colonne vertébrale de l’album qui s’articule aussi bien autour de son absence que de sa présence. C’est presque un making-of, une sensation renforcée par les 'rap' qui le parsèment, des enregistrements courts faits par Sue Graham MINGUS, femme de. Le plus important étant "Happy Birthday", enregistré pendant l’anniversaire de Charles MINGUS, où il clame haut et fort qu’il vivra plus vieux que son idole Duke ELLINGTON, mort à 75 ans en 1974. Un véritable crève-cœur puisque la maladie l’emporte à 56 ans. Moins déprimant, d’autres 'rap' nous permettent de le découvrir en studio en train de discuter avec Joni de leur musique. Il se montre courageux et impliqué dans sa musique jusqu’au bout.

La musique, elle, se répartit en six morceaux dont une reprise de "Goodbye Pork Pie Hat" sur laquelle Joni à écrit des paroles en hommage à MINGUS. Contrairement à ses albums précédents qui touchaient encore à d’autres disques, c’est le premier disque véritablement 100% jazz de Joni MITCHELL. Elle partage avec MINGUS cette philosophie de ne faire que la musique qu’ils ont envie de faire, démarche admirable mais risquée !
Malgré le grand respect que j’ai pour eux deux, j’ai du mal à accrocher à cet album. Je préfère les versions de ses chansons que l’on retrouve dans le live Shadows and Light puisqu’elles sont plus complètes. Dans leur version studio, leur instrumentation est aride. Il y manque quelque chose, c’est comme écouter une démo : c’est sec et nerveux. Difficile de savoir si c’était prévu ou si cela est resté inaccompli après la mort de MINGUS. En tout cas, le feu sacré n’est pas là. Tout n’est pas à jeter, "The Wolf that Lives in Lindsey" et "God Must Be A Boogie Man" sont les deux points d’orgue du disque, mais le reste n’est pas à la hauteur des attentes.