Après avoir sorti coup sur coup quatre des albums essentiels de la folk, dont deux classiques absolus, et être devenue le fer de lance du mouvement ainsi que l'artiste féminine la plus influente de son époque, Joni MITCHELL se sentait comme Bob DYLAN avant elle : piégée par les étiquettes accolées par les médias et les attentes de son public. Afin de regagner un peu d'air pour respirer, elle commence doucement mais sûrement à se diriger vers une nouvelle contrée : celle du jazz.

Comme beaucoup d'albums de transition, For the Roses a le cul entre deux chaises, entre l'ancien et le nouveau. S'il a reçu lors de sa sortie un bon accueil et s'est bien vendu, il a vite fini oublié, coincé en sandwich entre deux albums plus célèbres que lui, Blue et Court and Spark, tant et si bien que l'on en oublierait presque son existence. Il contient pourtant le premier single de Joni à avoir atteint le Top 40 (25ème place) : "You Turn Me On, I'm A Radio", titre composé sur l'insistance de son producteur qui voulait qu'elle écrive un hit. Ce qu'elle fit, avec beaucoup d'ironie. Écrire une chanson à succès sans vraiment le chercher, de quoi enrager tous les autres artistes qui se tuent à écrire des hits avec le plus grand sérieux ! Son texte est aussi sarcastique que possible et, pour encore plus marquer le coup, elle s'est efforcée à y insérer autant de références que possible au champ lexical des radios, pour attirer leur attention. Pari réussi, "You Turn Me On, I'm A Radio" est une chansonnette sympathique et amusante quand on la lit entre les lignes, mais sans plus.

C'est aussi l'intrus dans l'album, les autres morceaux tournant autour du thème de prédilection de leur auteure, les relations amoureuses. Oui, elle a encore de quoi dire sur le sujet, surtout depuis que James TAYLOR l'a quittée pour se mettre avec Carly SIMON. De quoi lui inspirer les deux meilleurs morceaux du disque, "For the Roses" et "Lesson In Survival", encore composés dans un esprit folk avec le trio piano/voix/guitare, que l'on retrouve aussi sur "Banquet" et "See You Sometime". Ses appétences pour la folk baroque sont toujours là sur "Judgement in Moon and Stars" qui emprunte à BEETHOVEN. Ses premiers jazz mentionnés plus haut se retrouvent sur "Baragrill", "Cold Blue Steel and Sweet Fire" et "Let The Wind Carry Me". A l'écoute de ses futurs efforts, qualifier ces morceaux de jazz est grandement exagéré : jazzy convient mieux, dans le sens où leur instrumentation est plus relaxée, moins cadenassée que ses morceaux purement folk, avec plus d'emphase lors des solos instrumentaux.

On ne peut pas faire des classiques à tout les coups : For the Roses est un disque pépère. Pépère oui, un album qui ne prend pas de risques. Se reposant sur ses acquis, Joni MITCHELL ne cherche pas à les approfondir mais nous offre la même chose, 'more of the same', un bref moment de répit avant de passer à la vitesse supérieure pour la suite.