L’avantage des naufrages, c’est que ça laisse flotter un tas de planches et d’agrès derrière soi. Les marins qui ont eu la chance de ne pas être engloutis avec la coque peuvent se raccrocher à ces débris flottants et espérer un meilleur sort. Mais bien souvent, les secours ne viennent pas, et la pauvre casquette à pompon dérive longtemps, jusqu’à ce que la fatigue et l’eau salée l'emportent.

Alors oui, en 1981, on pouvait encore essayer de se raccrocher à Tattoo You en attendant l’album providentiel. Après tout, on parle des ROLLING STONES là, des rockeurs habitués aux coups de Jarnac, pas du genre à laisser tomber leurs fans au cœur d’une tempête. Eh ben si… Même le très vilain Emotional Rescue, à côté du cyclone de médiocrité qui déboule à partir de 1983, ça reste une aimable bise de front de mer.

En attendant, il y a Tattoo You, ce drôle d’album tout juste moyen, ce qui est inespéré vu les péripéties de sa création. Après les sessions d’enregistrement d’Emotional Rescue, les Glimmer Twins sont à couteaux tirés, au point de refuser de composer ensemble le nouvel album promis. Chris Kemsey, le producteur, s’en tire en vidant les cartons et en fouillant les armoires, histoire de trouver quelques chutes de studio qui tiennent la route. Il réunit tant bien que mal une dizaine de compositions, que Jagger et Richards se chargent de compléter. En conséquence, Tattoo You ne sonne pas du tout comme un album des années 80, mais plutôt comme un STONES de la fin des années 70, plus proche d’un Black & Blue que d’un Sticky Fingers.

La bonne surprise, c’est la première face de l’album, très rock. Les STONES sortent un single imparable, "Start Me Up", renouant avec leur art consommé du riff qui fait mouche. Jagger retrouve son chant lubrique des grands jours, preuve qu’il n’est pas bon qu’à minauder sur des morceaux pseudo-disco. La manie lui reprend hélas sur "Slave", avec en sus un solo de saxophone hideux bien dans l’esprit de la décennie. On se console avec "Little T&A" et "Neighbours", deux titres rock énergiques, malgré un son de batterie affreux.

La seconde face, constituée uniquement de ballades, est beaucoup moins convaincante. Le piano est à l’honneur, un vrai piano qui fait ding-ding, un soulagement après les synthés en plastique d’Emotional Rescue. Les STONES s’essaient à la power-ballad rock fm de "Worried About You" et de "Tops", sans grand succès. Il faut toujours qu’un chœur sirupeux ou qu’une excentricité de Jagger vienne tout gâcher. "Heaven" est le seul titre qu’on pourrait sauver à la rigueur, avec sa belle voix modifiée psychédélique et ses scintillements très 'brianjonesiens'. Jetons un voile pudique sur les deux dernières ballades, pour prouver que le fair-play n’est pas l’apanage des Anglais.

We used to shine chante Jagger sur "Black Limousine", et il n’a pas tort. Hormis cette citation sortie de son contexte, Tattoo You, c’est aussi quatre ou cinq titres assez réussis, de l’incolore, et une pincée de très mauvais. Presque un chef-d’œuvre donc, si on le compare aux deux albums suivants.