Some Girls, c’est un peu cette scène récurrente du cinéma d’action : dans Jurassic Park 2, quand le camion se retrouve près de dégringoler de la falaise, un tyrannosaure en pétard sur le toit. On sait que le camion va s’écraser cent mètre plus bas et que les héros vont trouver un moyen de s’en sortir, mais rien à faire, cet équilibre précaire a quelque chose de fascinant.
Fascinant, Some Girls l’est pour les mêmes raisons. On sait que les ROLLING STONES sont sur le point de mordre la poussière et qu’une dernière fois ils vont accoucher de cette chose rare et incroyable, un bon album.

La légende dit que si Some Girls est bon, c’est que les STONES ont réussi à se réinventer. Laissez-moi rire. Au contraire, tout sur cet album sent l’application studieuse de recettes éprouvées, quitte à s’auto-plagier un peu. Le riff de "When the Whip Comes Down", si ce n’est pas le jumeau caché de celui de "Street Fighting Man", je veux bien être changé en fan de PINK FLOYD. Zéro prise de risque donc, mais contrairement à Black & Blue, Some Girls est rock jusqu’au bout des ongles. Les guitares nerveuses sont de retour, en témoignent "Just My Imagination", "Lies" et "Respectable". Le trio Richards, Wood, Jagger fait des merveilles à la guitare et parvient à pallier une section rythmique parfois transparente ("Beast of Burden").

La légende dit aussi que Some Girls est disco ou punk. Mouarf ! Le disco, c’est une rythmique et quelques « Ouh-Ouh » de Jagger sur "Miss You" n'en font pas un titre disco pour autant, même s'il reste un très bon single. Le punk, c’est le rock un peu nerveux de "Respectable" dont les paroles provocatrices offrent un étrange reflet de la situation des STONES en 1978 :

Well now we're respected in society
We don't worry about the things that we used to be
We're talking heroin with the president*¹

La mégalomanie va parfois de pair avec l’autodérision. Tout serait parfait si les STONES ne cédaient pas une fois de plus à leur manie du remplissage qui deviendra leur raison d’être dans les années 80. "Far Away Eyes" est un blues-rock poussif bien loin de ce qu’a pu faire le groupe dans le même genre (mais quelles paroles !). "Some Girls", avec ses grosses distorsions et son rythme langoureux, souffle le chaud et le froid sans convaincre totalement. "Shattered", qui conclut l’album, toujours sur un rythme lent, est plus intéressante. Les assonances obsédantes de Jagger épousent le flot tranquille des guitares, avec Watts et Wyman de retour aux affaires. Un symbole de ce que les STONES savent faire de mieux, avant une plongée de vingt ans dans la médiocrité.

Du bon rock, du bon Jagger, qui butent sur une créativité agonisante et quelques morceaux anecdotiques : Some Girls demeure le dernier album des STONES sur l’étagère qui ne soit pas caché derrière les livres de cuisine.

*¹ « Eh bien maintenant la société nous trouve respectables
Ce qu’on était avant on n’y fait plus attention
On discute héroïne avec le président »