Une des premières images qui nous vient à l’esprit lorsqu'on pense à LAIBACH, c’est évidemment celle du visage de Milan Fras, son principal chanteur. Pourtant, on a tendance à oublier que celui-ci n'a pas immédiatement rejoint la formation slovène. Jusqu'en 1982, le quintet est en effet mené par un redoutable provocateur, Tomaž Hostnik. Chanteur médiocre mais frontman implacable, toujours vêtu d'un uniforme militaire, il incarne à merveille l'idéal totalitaire dont s'inspire le groupe, caricature du dictateur en herbe, quelque part entre Tito, Mussolini et Jaruzelski. C'est d'ailleurs lui qu'on retrouve sur la pochette iconique de Ljubljana-Zagreb-Beograd, imperturbable, blessé au menton par une bouteille jetée depuis la foule au festival Novi Rock de Ljubljana. Témoignage d'une époque extrêmement mouvementée et tragique pour LAIBACH, dont il ne subsiste que très peu de choses, ce live a été enregistré fin 1982. Interdit de représentation à Trbovlje, sa ville d'origine, le groupe est tout de même parvenu à programmer une courte tournée. Après Ljubljana et Belgrade, celle-ci s'achève le 11 décembre à Zagreb, où Tomaž Hostnik monte pour la dernière fois sur scène, bien vite interrompu par la police locale. De retour en Slovénie, le chanteur se suicide dix jours plus tard.

Compilant des extraits de ces trois dates, Ljubljana-Zagreb-Beograd nous donne une petite idée de ce que pouvait donner un concert de LAIBACH à l'époque. Ironiquement, la performance ouvre par un slogan communiste suivi d'une comptine en allemand, mais cela juste avant que ne s’abatte la terreur stridente du "Rdeci Molk" ('Silence Rouge'). Le live vire alors au cauchemar, un véritable déluge métallique, minimaliste et sale, qui rappelle en partie l'indus bruitiste de THROBBING GRISTLE. À la différence de Genenis P-Orridge cependant, Tomaž Hostnik hurle rarement. Froid et indifférent, il toise son public et débite des discours insensés, nous informant des dernières recommandations du général Jaruzelski ("Jaruzelski") et des bonnes actions du gouvernement ("Država"). On cherche ici l’aliénation de l’individu, broyé par les chaînes de montage ("Siemens", "STT" – référence à une usine de Trbovlje, "Tovarna 19"). Reste fidèle, travaille et ne dis rien ("Delo in Disciplina"), travaille pour la patrie, travaille pour nous. Au milieu du disque, un collage du "Tico Tico" de Zequinha de Abreu, renommé non sans humour "Tito Tito", laisse souffler les ouvriers, avant de replonger dans un dernier quart-d'heure de tortures électroniques et d'ordres aboyés en slovène.

La dernière piste, longue d'une vingtaine de minutes, est un extrait du concert donné à Ljubljana. On y découvre le fameux Cari Amici Soldati que le groupe réutilise tel quel en ouverture de son premier album en 1985. La performance s'achève dans un chaos d'une brutalité inouïe, Hostnik conclut "Svoboda" ('Liberté') en hurlant comme un damné. Jamais, sans doute, la musique de LAIBACH n'avait atteint un tel degré de violence.

On ne peut le nier, ce live s’apprivoise durement. L'expérience est éprouvante, Ljubljana-Zagreb-Beograd délivre un art brut et expérimental, plus encore que sur la compilation Rekapitulacija 1980-1984. Il demeure néanmoins à jamais incomplet, en raison de l'absence d’images, les performances de LAIBACH sur scène ayant toujours été aussi bien sonores que visuelles. Une vidéo toutefois, tournée à Zagreb lors du dernier concert de Tomaž Hostnik, a été récemment diffusée sur Internet par le groupe. On comprend mieux cette bouteille lancée sur le chanteur.

Immense et terrifiant.