Quoi de mieux qu'un premier enregistrement public pour fêter dix ans de carrière ? Celui de Gilles SERVAT est prélevé sur une date au théâtre de Boulogne-Billancourt en avril 1981. Si la musique bretonne subit un revers de mode depuis quelques mois, elle peut toujours compter sur un certain nombre de fidèles, comme en témoigne l'enthousiasme du public tout au long des dix chansons. On pouvait penser que ce premier live soit un résumé de la décennie passée, qu'il retracerait équitablement le parcours réalisé. Il n'en est rien.

La moitié est constituée d'inédits, l'autre d'une poignée de tubes que SERVAT a écrits. Chose étonnante toutefois : nulle trace de "La Blanche Hermine" ! À la place, le chanteur, Jean Chevalier, Jean-Louis Cornilleau et Bernard Grosmolard vous présentent quelques hymnes revisités sous la direction du guitariste nantais. Par exemple, la ritournelle folk de "L'Île de Groix" est remplacée par une ballade jazzy lancée par Jean-Louis Cornilleau sur un bon walk (ligne de basse caractéristique) des familles. Ca swingue, conformément aux nouvelles aspirations musicales de SERVAT depuis un an. On peut également citer l'intro du concert, un thème “bretonnisant” joué au saxophone soprano pour toute bombarde et prolongé par une rythmique impaire, en guise d'ouverture à "L'Hirondelle" qui elle ne perd rien de sa facette an dro. À ce titre, SERVAT libère quelques cris, une fièvre toute aussi palpable sur "Demain", devenu boléro.

Côté inédits, un nouveau texte de René Guy Cadou : "Liberté Couleur des Feuilles" qui ne figure pas sur l'album hommage, laisse éclater ses couleurs par les voix du groupe en choeur. "L'Adieu au Jardin", cette fois emprunté à la poétesse Lucie Delarue-Mardrus, se situe dans une veine non moins impressionniste et dépeint la fuite des beaux jours au profit de la mauvaise saison. Selon SERVAT en personne, si "Le jour n'est pas la vérité", la nuit laisse place aux beautés et à tous les espoirs. Quant à la "Lettre aux Amis Prisonniers", elle est dédiée tout comme le vibrant "Ken Pell Zo Da C'Hortoz" à Yann Puillandre et aux autres bretons incarcérés pour leur lutte identitaire. Deux morceaux à la couleur musicale exotique, bossa-nova pour la seconde.

Enfin, comment ne pas parler du rapport de SERVAT avec son public ? L'artiste glisse quelques piques bien senties en évoquant le contexte socio-politique. Il dévoile encore son aisance en matière d'humour tout ce qu'il y a de plus direct : "Si vous entendez une phrase en français, c'est pas le Saint Esprit qui sera venu à vous, c'est parce qu'y a une phrase en français !". À propos de "L'Île de Groix" : "le texte a été écrit par ma femme, ce qui permet aux droits d'auteur de rester dans la famille". Quant à "Demain", judicieusement placée en final, il la dédie aux gens de Plogoff et à leur action alors récente, figure de proue du courage breton, bel exemple pour tous.

Cette sélection n'est certes pas complète, l'interprétation manque parfois de chaleur, mais ce premier live reste de bonne facture, en attendant des réalisations plus abouties.