1996. Le dernier album de Gilles SERVAT date d'il y a deux ans. Entre-temps, le chanteur officie dans l'Héritage des Celtes de Dan Ar Braz, au milieu d'une kyrielle de musiciens issus de tous les pays celtes et avec la distinction que l'on sait auprès du grand public. SERVAT peut ainsi décider plus librement de son orientation future. Sur les quais de Dublin se démarque fortement des albums qui l'ont précédé : L'albatros fou et A-Raok Mont Kuit étaient publiés chez Keltia Musique, ici l'artiste passe chez Columbia Records.

Ce qui constitue une aubaine se traduit également dans le choix des musiciens : à l'exception du claviériste Donald Shaw et des différent(e)s vocalistes, tous les musiciens de l'Héritage des Celtes sont présents. Il y a des invités de marque comme Ronnie Drew, Rita Connolly, Andy Irvine et Sharon Shannon, grandes figures de la musique irlandaise. Le son, renforcé par des moyens modernes, s'oppose à l'intimité de A-Raok Mont Kuit. Sur les quais de Dublin est donc la première grosse production de Gilles SERVAT.

C'est aussi, comme le titre l'indique, son album le plus irlandais, une véritable passerelle Breizh-Eirinn, pour le meilleur. Cela laisse peu de place aux morceaux en français, et SERVAT s'octroie le plaisir de reprendre deux de ses anciennes chansons. La première, "Il est des êtres beaux", perd sa moelle sonore eigthies au profit d'un arrangement sobre, ballade lente garnie de percussions, violon, accordéon... À l'inverse, "Chantez la vie, l'amour et la mort" est jouée à la manière pop irlandaise, rehaussée par la présence de synthétiseurs et l'accordéon de Sharon Shannon.

Parmi les titres bretons, "Men Du" (chanson d'amour dédiée aux Monts d'Arrée) est particulier pour SERVAT car il l'a interprété peu de temps avant sur la scène de Quimper aux côtés de Per Jakez Helias, lors de la soirée organisée pour le 80ème anniversaire de ce dernier. Un très bel air où le bagad fait sensation. On le retrouve sur "Ar Brezoneg Eo Ma Bro" de manière plus dynamique, au coeur d'un arrangement martial. Cette autre chanson de Per Jakez Helias exprime l'attachement envers la langue bretonne. Enfin, "Yezhoù Bihan" défend viscéralement les langues minoritaires en général, le breton de SERVAT côtoyant le gaélique de Rita Connolly avec la plus grande intensité.

L'hommage à l'Irlande retient particulièrement notre attention. "Vieille Ville de Merde"/"Dirty Old Town" appelle la participation de Ronnie Drew, le regretté Dubliner, tout comme le puissant "The Foggy Dew" joué lui aussi dans un arrangement pop et qui réunit deux des plus célèbres voix graves de l'Irlande et de la Bretagne. Les chansons lentes enfin, sont fabuleuses. "A White Horse", "Sur les quais de Dublin", "When Last I Saw You" (avec Andy Irvine de Planxty aux choeurs) et "Carrickfergus" nous font voyager le temps d'un hiver en Irlande.

Sous des airs pop-variété et une production clinquante, il y a décidément quelque chose de profond. Sur les quais de Dublin est témoin que même dans un contexte grand public, Gilles SERVAT maîtrise pleinement son propos. Une expérience recommandée aux néophytes.