Un an après La Liberté Brille Dans la Nuit, Gilles SERVAT réitère sa collaboration avec l'arrangeur parisien Michel Devy. Fait rare, notons que la pochette du cinquième album ne contient aucun crédit d'instrumentistes...

Autre remarque importante, c'est la première fois que nous entendons une face d'un opus de Gilles SERVAT entièrement en breton ! ou presque... Quelques mots français ont été conservés pour les rimes de "Komzit Brezhoneg Gant ho Pugale", sans doute pour mieux faire passer le message. Celui-ci, en dépit d'ornements poétiques, est très clair : "parlez breton avec vos enfants" (traduction du titre), "il n'y a pas de langage meilleur qu'un autre, il n'y en a pas de moins beau non plus"...

Toujours pour la cause bretonne, on citera "En Tu All D'ar Gorre"/"De l'autre côté de la surface" et ses fioritures mystiques, "Chanson Pour le Baptême de Virginie" où l'auteur imagine le sort des bretons de demain, "Le Départ du Partisan" qui n'est autre que "La Blanche Hermine" revisitée et transposée en dialogue avec Nancy Davis, ou encore "Triskell D'or 75" dont les couplets sont débités sans reprendre haleine comme autant de coups de poing.

Bien que plus consensuel musicalement parlant, le pouvoir des mots sur ce disque révèle un ton direct et rude, mentionne la violence des forces armées à l'encontre des ouvriers ("Classes"), ainsi que la situation dramatique au pays basque où les mères ne peuvent même plus embrasser leurs fils défigurés par les balles des fusils ("Daou Dewezh Eus Maria Otaegui"/"deux journées de Maria Otaegui"). Autant de mots qui caractérisent ce "monde minable" décrit à la petite Virginie, et aucun temps de répit côté textes donc.

Michel Devy réemploie l'idée des arrangements orchestraux massifs du disque précédent mais, on le remarque, avec moins de métissages épars. Les mélodies, réellement splendides pour la plupart, sont toutes composées par SERVAT à l'exception de "Koroll ar C'hleze" qui est un traditionnel breton, aussi connu sous le nom de "Dir ha Tan". Une introduction tribale amorçant un début de retour aux sources, chose que l'on retrouve aussi sur "Ur Bez e Dulenn" et la jig fiévreuse de "Triskell d'or 75".

Il faut néanmoins savoir que cet effet cohabite avec d'autres arrangements plus léchés, typés variété et qui ne seront pas forcément au goût de tout le monde. Pourtant, les arrangements servent les chansons sans jamais tomber dans la lourdeur ou l'incongruité, pas même lorsqu'on entend retentir des timbales ou une trompette piccolo sur "Komzit Brezhoneg Gant ho Pugale". La nouvelle version de "La Blanche Hermine" est moins sèche que l'originale ; la voix féminine, la basse groovy et l'accordéon lui donnent plus de couleurs, sans en faire un chef-d'oeuvre néanmoins. Un beau disque.