Après des années 90 plutôt dorées, Gilles SERVAT, toujours soutenu par Columbia/Sony Music (mais plus pour longtemps) et à l'aube du nouveau millénaire, nous offre un album dans la lignée directe du précédent. Celui-ci avait un traitement de grosse production surprenant, pour un propos toujours intègre et réussi néanmoins. Comme Je Voudrai ! reprend les mêmes recettes, en particulier du côté de l'instrumentation.

La section rythmique Ray Fean-Eoghan O'Neill est de nouveau présente, mais d'autres pointures de la musique irlandaise font leur apparition comme Nollaig Casey, Rod McVey, Mairtin O'Connor, Anthony Drennan, sans oublier l'Irish Film Orchestra, plus présent que le bagad. En matière de Bretagne, on relève la présence de Nicolas Quéméner et Ronan Le Bars qui ont déjà collaboré ensemble. L'union de talentueux musiciens bretons et irlandais vient donc donner à ce disque une richesse d'ensemble, pour la seconde fois consécutive. La différence principale avec le disque précédent, c'est que celui-ci apparait plus personnel, on n'y trouve aucun duo.

L'album bleu est une nouvelle alternance de sentiments tendres et piquants. La colère trouve principalement son explication dans la chanson «Erika, Erika». Le pétrolier tristement célèbre qui a ravagé les côtes du nord-ouest Atlantique et particulièrement la Bretagne voit les griefs à son encontre tempérés par une musique enjouée, typiquement celtique ! Un contraste savoureux qu'on retrouve sur le revanchard «Comme Je Voudrai !» où SERVAT exprime son besoin de liberté de chanter où il veut, quand il veut, dans la langue qu'il veut, au son d'un accordéon fort sympathique.

Le martial «Ar Plac'h a Garan Me» est en fait une complainte amoureuse traditionnelle vannetaise où l'artiste nous rappelle combien il se bat pour que la tradition perdure. L'an dro «Tregont Blé Zo» enfin, voit SERVAT se retourner trente ans en arrière, saluant le réveil de la culture bretonne au début des années 70 malgré l'aide quasi-inexistante des médias. Les chansons suivantes puisent dans des trames diverses, bien que constamment ramenées à des émotions, des faits humanitaires ou historiques.

Par exemple, la ballade «On Nous Entraîne» s'inspire d'une bavure de l'OTAN au Kosovo et en profite pour plaindre le sort humain sur un ton langoureux. «E Sourdarded Zo Guisket é Ru», sur la mort tragique des soldats bretons durant la guerre de 1870 en France, est dépeinte par une valse mélancolique. «To Scots Friends» est une lettre envoyée à des amis écossais au moment de l'obtention de l'autonomie par leur pays, plus optimiste. Dans une dimension spirituelle, «Au Bord du Lac Pontchartrain» cite une chanson irlandaise très connue et qui relate l'histoire d'un soldat pendant la guerre de Sécession.

Le sommet du disque est atteint avec «Sur la Terre Enterrée la Route...», une composition progressive illustrant une succession de souvenirs, magnifique. «On Raglan Road», empruntée aux Dubliners, marque une autre forme de contemplation mêlée de cordes, tout comme le tendre «Blanche et Bleue» que SERVAT a écrit pour une pièce de théâtre. On les retrouve encore sur «Marv Eo Ma Mestrez», (ré-)interprété avec naturellement une forte gravité mais aussi une sobriété louable. Autant le dire, Gilles SERVAT aborde le nouveau millénaire avec force, élargissant son propos sans se renier. Un disque hautement recommandable, à l'instar du précédent.