Une sacrée surprise que ce vingt-et-unième album de Gilles SERVAT. À ce stade de carrière, en particulier, c'est toujours étonnant. Ce disque est constitué pour moitié de réinterprétations (jusque là, rien de nouveau, l'artiste est coutumier), entièrement en français (chose déjà plus rare), et s'il s'intitule bien À Cordes Déployées, le dernier mot en appelle un autre ici : "dépouillé".

Nourri d'une idée survenue au cours de la tournée 70 Ans... à l'Ouest !, c'est un album acoustique et même "classique". Gilles SERVAT propose de nouvelles chansons et des relectures d'anciennes en étant accompagné par un trio de chambre. Hormis le vieil acolyte Philippe Turbin au piano, on retrouve Mathilde Chevrel, violoncelliste de la dernière tournée qui s'occupe de l'ensemble des arrangements pour cet opus. Le dernier renfort, au violon, se nomme Floriane Le Pottier (du DOUR/LE POTTIER QUARTET, entre autres).

SERVAT avait déjà repris son bouillant "Les Prolétaires" (issu du premier album de 1972) il y a quelques années, en 2013. L'occasion était trop belle pour le chanteur de décrire au vitriol l'actualité franco-mondiale avec transposition au confinement et à la décision des commerces "essentiels" par rapport à d'autres (et plus ils sont grands, mieux c'est), tout en revoyant la partition encore une fois. Ainsi la hargne, plus contenue dans la chaleur de la voix, se trouve habillée d'arrangements minimalistes, y compris un violoncelle soliste excellent. Standard de la même époque initialement, "L'hirondelle" propose un chant plus rapide sur fond de cordes nostalgiques, et une fin plus optimiste que sa première version.

D'autres titres anciens passent par l'exercice de la refonte textuelle : "La Liberté Brille dans la Nuit" (1975) devient "La Liberté est Émouvante", où le piano de Philippe Turbin reprend les colorations jazz de l'album original, sans oublier "La Blanche Hermine", incontournable grâce auquel le Breton avait lancé sa carrière. "La Blanche Sonatine" est pourtant une variation instrumentale, placée en fin de disque, très belle malgré sa courte durée.

"Il Est des Êtres Beaux", malgré un intérêt toujours vif, a connu des versions meilleures, et on se laisse plutôt porter par un florilège (ou medley) de trois chansons à la suite, avec un choix intéressant. L'interprétation sensible de Gilles SERVAT fait merveille sur "La Maison d'Irlande" (extrait de L'Albatros Fou, 1990, album commun avec TRISKELL), la différence sur les harmonies de "Le Pays" (époque HÉRITAGE DES CELTES) et "Je Dors en Bretagne Ce Soir" (1974) reste palpable.

Si ce disque s'écoute religieusement (à l'image de sa pochette sobre en noir et blanc), offrant des idées bienvenues sur des chansons déjà connues de longue date, ne boudons pas le plaisir de découvrir les nouvelles. "Hiérarchies" et son orientation sociologique laissent s'exprimer la veine contestataire que SERVAT même adouci n'a jamais perdu, lui permettent même de réaliser un monologue sans musique au milieu. Traitant de sujets difficiles (le viol, le progrès et ses sacrifices), chacune des quatre chansons restantes marque à sa façon, tout en se prêtant à l'homogénéité d'ensemble.

Gilles SERVAT, assagi par rapport à sa jeunesse, avait pour le coup davantage de choses nouvelles à redire plutôt qu'à dire, mais il le fait simplement, naturellement. En l'absence de celtitude, le ton musical n'est pas le plus aisé d'accès, mais en témoin d'une carrière riche, il interpelle et fait preuve de force.