Rock And Roll Heart, sorti en 1976, fait partie des albums souvent mal aimés de Lou REED. On le trouve en général facile tant au niveau des textes que de la musique. Il faut dire qu'une fois encore, Lou REED prend une contre-allée. On l'attend du côté sombre de l'existence, sur les pavés glauques du New-York des années 70, entre prostitution, abus de drogues et violence familiale* ? Dans un déluge sonore sans paroles** ? Dans des ballades introspectives sur son adolescence remplie de désirs*** ? Eh bien non. Il commence même par nous déclarer qu'il croit... en l'amour ! « I Believe In Love », premier titre du disque, se veut une confession : Lou croit en l'amour, à la bonne musique, au bon temps. Quoi d'autre ? Ah, oui, Lou REED croit aussi en la croix de fer****. C'est d'ailleurs ce qui nous rappelle que nous écoutons du Lou REED et non un rock ordinaire, cette autodérision qui tient davantage du sarcasme que de l'humour.

On trouve quelques curiosités : « Follow The Leader » est formidable. Une espèce de funk blanc mâtiné d'afro-beat, sur lequel Lou reprend l'espèce de bégaiement qui caractérisait « Kicks », sur « Coney Island Baby ».
« A Sheltered Life », reprise du Velvet, est également très drôle. Sur un thème jazzy, Lou REED nous narre, goguenard, sa vie bien rangée : « Jamais allé en Angleterre, jamais allé en France, jamais vraiment appris à danser, jamais fumé d'herbe, jamais pris de drogue, jamais dansé sur une peau d'ours, etc. »

Pour le reste, eh bien... Force est de reconnaître que l'on navigue entre deux eaux. Ni franchement mauvaises ni bonnes, les autres chansons pourraient être intéressantes «(« You Wear It So Well », « Ladies Pay », « Vicious Circle »), mais semblent manquer d'incarnation. D'autres s'avèrent carrément inécoutables (« Senslessly Cruel », « Claim To Fame ») à cause de l'horrible saxophone qui démolit tout. A quoi bon cette soudaine passion pour le saxophone, Lou ? On ne peut s'empêcher de penser que si le soufflant est autant mis en avant, c'est justement pour masquer une certaine indigence. Même « Temporary Thing », qui signe le retour du personnage de teigne que nous connaissons bien (cela commence par « Hey now bitch, you'd better pack your things ». Rappeurs, vous n'avez pas inventé la vulgarité et la violence de vos propos envers les femmes.) s'étire tellement que l'on finit par s'ennuyer.

Quant au morceau titre, il est tout simplement hilarant, mais je ne pense pas que cela ait été son but. Lou nous déclare qu'il n'aime ni l'opéra ni les ballets et que la nouvelle-vague le fait fuir, lui qui n'est qu'un idiot avec un cœur rock'n' roll.
Parions que c'est un peu plus compliqué, l'homme est complexe. Et certes, il a toujours assumé son goût pour le rock de base. De là à être capable d'en écrire... C'est une jolie tentative, mais cela ressemble à un éléphant dans un magasin de porcelaine. Un individu dont le côté sombre et la lucidité l'empêcheraient d'être aussi léger et désinvolte qu'il le voudrait. Il y a des mariages qui ne fonctionnent tout simplement pas.


*« Sally Can't Dance »
**« Metal Machine Music »
***« Coney Island Baby »
****Référence à celle qu'il porta bêtement sur son crâne presqu'entièrement rasé à l'époque de « Rock 'n Roll Animal »