Trespass est avant tout un disque très méritoire. En octobre 1970, les membres de GENESIS étaient tout jeunes, comme l'était le rock progressif. Le seul vrai repère du genre était d'ailleurs le premier KING CRIMSON, dont Trespass est incontestablement inspiré. Déjà, la structure : commencer par une chanson énergique, "Looking For Someone", suivie de quatre ballades. Mais ici, bien sûr, il y a une conclusion plus musclée, "The knife". Plus tard, avec le départ d'Anthony Philips, le guitariste originel qui insufflait une ambiance bucolique, et surtout avec la sortie, du côté de VAN dER GRAAF GENERATOR, de cet incroyable standard qu'est H to He Who am the only one, GENESIS a muté vers une musique plus diversifiée, et de manière générale plus satirique.

Cependant, le fait que Trespass soit un album beaucoup plus innocent n'est pas une raison suffisante pour le sous-estimer. Tout d'abord, c'est bel et bien ici qu'on trouve la première immense chanson du groupe, proposant une structure, des évolutions rythmiques et une qualité d'harmonie invraisemblables de la part de gens encore si peu expérimentés, je veux bien entendu parler de "Looking For Someone". Euh oui, si on pensait à "The Knife", désolé mais... la chanson d'ouverture m'a toujours semblé beaucoup plus impressionnante. Entre les deux, il y a du bon et du moins bon. "White mountain" et "Dusk" sont très intéressantes, elles donnent une idée de ce qu'aurait pu être le premier album sans l'ingérence de Jonathan King : un recueil rock doux, un peu folk, peu compromettant mais d'une délicatesse désarmante. "Vision of angels" n'est pas vraiment à la hauteur, mais n'est pas désagréable non plus. "Stagnation", nettement plus subtile, propose une belle progression malgré son registre lent. Dommage que son orchestration soit un peu trop dépouillée, mais la pertinence de la composition musicale est indéniable.

Et donc, je me prends toujours à me perdre dans cette gentille rêverie, avant de me réveiller au son amusant de "The knife", qui ne parvient pas à être sinistre, si c'était le but recherché. Bien sûr, GENESIS a par la suite de nombreuses fois renchéri sur cette performance initiale, et pourtant Trespass reste étonnamment crédible et garde, à mon avis comme chaque album du groupe au moins jusqu'à Duke, un caractère et donc un intérêt uniques. Ce renouvellement constant est une des nombreuses qualités du groupe, véritable génie musical collectif que je place sur le même pied que n'importe quel grand compositeur classique. Avec l'arrivée de Steve Hackett et de Phil Collins l'année suivante, rien ne pourra plus les arrêter dans leur glorieuse avancée.