Trespass est le premier vrai GENESIS. Il marque les débuts professionnels du groupe, sa signature chez Charisma – dont la tête de gondole restera longtemps VAN DER GRAAF GENERATOR – et son ralliement à la scène progressive alors en pleine éclosion. C’est surtout le premier travail personnel du groupe qui n’a plus à subir les directives d’un Pygmalion décalé.

Tony Stratton-Smith est un manageur intelligent. Il a compris le potentiel de cette nouvelle mouvance et laisse une grande liberté à ses poulains. On ne dira jamais assez combien "In the Court of the Crimson King" fut influent avant d’être bon. GENESIS comme d’autres, a trouvé sa voie avec ce disque, et s’il y eut une révélation en 1969, c’est bien celle-ci. Malgré les ressemblances entre "White Mountain" et "Epitaph", GENESIS œuvre dans une tout autre direction que celle du Roi Pourpre. Moins expérimental, moins sombre, il exploite les ressources mélodiques et harmoniques au service d’une musique avant tout sensible, et pour laquelle Banks et Philips affirment déjà des aptitudes exceptionnelles.
Trespass, seul témoignage du GENESIS originel, porte l’empreinte d’Anthony Philips. Musiques celtique, médiévale et religieuse constituent l’essentiel de ses composantes. L’acoustique est roi, mettant en avant la flûte, les orgues et cette fameuse guitare 12 cordes dont Philips et Rutherford se partagent l’utilisation.
Le groupe se construit encore techniquement et l’absence d’un batteur solide se fait cruellement ressentir. De même, Philips est un guitariste acoustique doué mais au jeu électrique classique. On sent clairement un décalage entre les moments paisibles, parfaitement maîtrisés car fruits d’un long travail, et les parties rock encore tâtonnantes. Ce disque invente une sorte de folk celtique progressif dont les travaux de Mike OLDFIELD et ANGLAGÄRD garderont des traces.
Cette pochette est la première d’un triptyque que complètent Nursery Cryme et Foxtrot. Paul Whitehead signait également celles de V.d.G.G et LINDISFARNE. Le trait grossier, les couleurs pastels et les caractères gothiques reflètent bien l’album ; le moyen-âge, l’univers champêtre et quelques références religieuses. Il faut retourner le disque pour découvrir un couteau déchirant cette scène idyllique, comme un rêve rompu par la lame du réel. L’album évolue dans cette même ambiance bucolique mais néanmoins troublante, obsédée par la mort, une mort douce et belle, idéalisée par la religion ("Visions of Angels") magnifiée par le rite ("Stagnation"), puis plonge brutalement dans une violence sanglante. "The Knife" reste une pièce d'une belle brutalité que les maladresses bonifient, et constitue son premier classique ainsi qu'un rappel fort apprécié du public.

Avec Trespass, GENESIS signe son disque le plus liturgique et rattrape le flop du premier album. Pour certains, il propose d’emblée ses pièces les plus inspirées, et il est vrai que sa forme dépouillée met particulièrement en valeur ses qualités d'écriture. Tout GENESIS est déjà là, magistralement exposé sur les sept minutes de "Looking For Someone". Seul le son manque encore de caractère. L'apport des deux nouvelles recrues sera décisif.