Il y a un avant et un après 1975.

Avant 1975, GURU GURU était un groupe principalement connu pour son krautrock tantôt planant, tantôt abrasif. D'immenses disques comme UFO (1970), Hinten (1971) ou Dance of the Flames (1974) sont sortis, destinés à qui voulait du kraut tapant haut et fort ; et ne parlons même pas des concerts, véritables trips en plein air qui montraient toute la monstruosité des musiciens. Concernant ces derniers, il fallait voir sa composition en 1974. Houschäng Nejadépour, le guitariste aussi mystérieux que doué, et l'efficace bassiste Hans Hartmann accompagnaient le batteur Mani Neumeier, constante du groupe (ce qui est encore vrai de nos jours) et bête incontrôlable derrière ses fûts. Bref, voilà un line-up de tueur.

Sauf que ! En 1975, Neumeier, en bon leader de GURU GURU, décide de changer de direction artistique de manière radicale, et ce n'est pas rien de le dire. Nejadépour et Hartmann sont remerciés, et le batteur invite des musiciens pour ce qui ressemblerait à une escapade en solo si n'était le nom flanqué sur une pochette bien moche (ok, celle de Hinten est la pire). Mani und seine Freunde, cependant, fait intervenir du monde autour de Neumeier, et pas forcément des manches. Les anciens Conny Plank et Ax Genrich reviennent, et on note également la présence de CLUSTER, autre groupe culte, pour qui Neumeier a joué en cette même année 1975 au sein d'HARMONIA. Et puis, il ne faudrait pas oublier le groupe KRAAN, lui aussi sur le coup.

Avec tous ces musiciens, qu'attendre de GURU GURU ? Un double-album de fous furieux où le krautrock abrasif claque comme c'est pas permis ? Non, il s'agit plutôt d'un simple qui déroute tout en gardant un certain ADN Guru-esque. On avait déjà pu entendre les approches plus pop de Don't Call Us We Call You (1973), mais ici GURU GURU se complait à devenir plus radio-friendly, toutes proportions gardées, même si ce constat ne s'applique pas à tout l'album. On pense bien entendu aux deux longs mouvements ("It's Your Turn", "From Another World"), mais aussi et surtout aux ovnis délirants. "Chicken Rock", par exemple, est une preuve que oui, la drogue c'est le mal m'voyez. Entre l'imitation à la guitare d'un caquètement et les refrains chantés à l'hélium, ce morceau est dangereux pour le cerveau. "Woodpecker's Dream" est pour sa part totalement inutile, car n'étant basé que sur quelques bruits en arrière-plan d'un dialogue hautement hallucinogène.

Heureusement, pour se remettre de ces choses, Mani und seine Freunde a d'autres cartes en main. "It's Your Turn" peut légèrement agacer avec ses synthés, mais pour le reste, il convient d'apprécier un jazz-rock plutôt convaincant. L'explicite "From Another World" conviendra aux amateurs de musiques du monde et garde le lien avec les anciennes incartades de GURU GURU. "Walking, Eating my Hot Dog" pue les États-Unis à fond, on pourrait même penser qu'il s'agit d'un groupe de soul/R'n'B, et aurait pu être plus réussi sans son final chiant car répétitif; cependant, il sait s'apprécier sans prise de tête.

Mani und Seine Freunde désoriente gravement l'auditeur. Comment en effet passer brutalement de Dance of the Flames à ça ? C'est bien là le seul reproche stylistique qu'on peut faire à l'album. Du reste, GURU GURU peut être salué pour son changement de registre, et aussi pour ne pas vouloir capitaliser à fond en se figeant sur un seul style. Et c'est bien.