Après les redoutables Nursery Cryme et Foxtrot, Genesis était bien lancé, et voulait frapper un grand coup. Ils voulaient franchir une nouvelle étape et ont décidé de plus travailler leurs chansons, en se retirant dans un endroit isolé pour procéder à une grande session d'écriture. Jusque là, bien que fort complexes, leurs compositions étaient somme toute instinctives, fort spontanées, et ils voulaient obtenir un résultat plus stable. La suite est de l'histoire, cette session a été horriblement difficile. Après avoir obtenu les embryons de «Firth of fifth» et «The battle of Epping Forest», ils ont connu le syndrome de la page blanche et ont ressassé ces deux titres pendant des semaines, n'arrivant que dans le rush final à pondre les autres titres.

Et donc, à mon humble avis, le pari initial n'a pas été réussi, bien que Selling England by the pound soit effectivement un grand classique du rock progressif, un excellent album farci d'idées que seuls les membres de Genesis semblent capables d'avoir eu. Cet album est hélas assez inégal, propose un son un peu irréel, on ne sent pas le groupe aussi convaincu de son propos que par le passé.

Sur ce disque, on trouve quatre longues plages qui auraient largement suffi à obtenir une durée d'album standard, entrecoupées par de petits numéros. Ceux-ci sont particulièrement inégaux. Le single «I know what I like» est... un single, avec les travers que cela implique de la part d'un groupe ultraprogressif. La plage est amusante, qui ne retiendra pas cette parole surréaliste «me, I'm just a lawnmower» par exemple ? Mais bon, tout ceci est assez anecdotique et, surtout, casse l'élan entre les deux premiers grand numéros. «More fool me» est le vrai point faible, avec la moins bonne performance de Phil Collins que je connaisse. Par contre, l'instrumental «After the ordeal», complément à la bataille, est magnifique.

Les grands morceaux maintenant, dans l'ordre croissant de mes préférences. «The battle of Epping Forest» est très verbeuse, et donc difficile à comprendre ; on aura des réactions différentes selon son humeur, la trouvant parfois amusante, parfois horripilante. Le comble du côté théâtral de Genesis, quoi qu'il en soit. La célèbre «Firth of fifth» joue beaucoup sur le piano. Elle est belle, en particulier ses solos, de flûte puis de guitare, mais il faut bien avouer qu'elle est aussi pompeuse que de l'ELP, renforçant la nature forcément très anglaise de l'ensemble. «Dancing with the moonlit knight» ouvre l'album de façon épatante, un vrai numéro progressif, avec son début romantique si riche suivi d'une charge rock héroïque puis se finissant par un étrange passage lent et répétitif.

Mais le vrai clou de l'album est l'irremplaçable «The cinema show», peut-être la meilleure chanson de Genesis, ce qui n'est pas peu dire. La première partie, portée par Peter Gabriel, est un chant féerique, que j'interprète comme nettement féministe, une qualité rare en rock. La seconde est un délire instrumental de Banks, Rutherford et Collins, à la fois minimaliste et riche, une impressionnante mélodie continue à sept temps transportant l'auditeur aux confins de la progressivité.

Selling England by the pound est avant tout un album attachant, étonnamment nostalgique et donc peut-être le plus daté. Il est tout de même un disque aussi unique et donc indispensable que tout album de la grand époque de Genesis, sur lequel ils ont donné au monde quelques exemples majeurs de leur génie.