Bon, alors, où ont-ils voulu en venir exactement avec celui-ci ? Abacab est un album pop, sans l'ombre d'un doute, assez éclectique, avec un son radicalement différent de leur habitude, et des mélodies peu marquantes. En fait, je ne vois pas l'ombre d'un tube potentiel ici, son succès commercial est un mystère pour moi.

Malgré ces éléments peu engageants, je ne peux pas pour autant affirmer qu'Abacab est un mauvais album. Il s'agit peut-être de leur moins bon (après le premier, cela va sans dire), mais on peut dire que Genesis a de beaux restes et que l'expérimentation sonore leur réussit plutôt, au final. Bien sûr, certains effets comme les cuivres sur «No reply at all» et toute cette panoplie électronique numérique fraîchement apprivoisée par Banks ne sont pas très convaincants mais cela a le mérite de proposer un peu de nouveauté... À mon sens, la vraie rupture dans la carrière du groupe est bel et bien Duke. Après celui-ci, qui croyait vraiment retrouver le Genesis de Foxtrot ? Soyons sérieux, c'était illusoire, alors, quitte à devenir pop, pourquoi ne pas faire évoluer la recette d'album en album ? Avant toute chose, Abacab me semble être un disque sans grande prétention où le groupe s'amuse à faire tout et n'importe quoi, avec une habileté redoutable, qui montre à la fois le génie qu'ils ont toujours eu et l'expérience qu'ils ont acquise au cours des années 70.

Là-dedans, il sera bien sûr difficile de tout aimer. Je me gratte toujours la tête en entendant l'étrange «Me and Sarah Jane», à la fois sucrée et à la structure trop complexe. L'ouverture «Abacab» est déjà plus convaincante, avec un retour réussi de la guitare et des passages instrumentaux bien ficelés. «Keep it dark» est peut-être le numéro le plus accrocheur du lot, un beau rock lyrique. Mais tout ceci n'est rien comparé au fantastique «Dodo/Lurker». J'avoue avoir acheté l'album uniquement pour cette chanson, une des toutes meilleures de Genesis toutes époques confondues. «Dodo/Lurker» est purement progressive, complexe, surréaliste, désopilante, redoutablement interprétée et arrangée... incontournable, vraiment. Le reste est plus difficile à juger, si «Who dunnit ?» est une plaisanterie douteuse, les trois chansons qui suivent toucheront chacune un certain public. En ce qui me concerne, impossible d'accrocher à «Man on the corner» et «Like it or not», par contre j'ai fini par adorer «Another record».

Donc, finalement, Abacab, c'est un peu «à vous de voir». Si «Dodo/Lurker» est une chanson des plus importantes, tout le reste est d'une bizarrerie qui suscite les réactions les plus diverses. Force est de constater que, si beaucoup le trouvent irrémédiablement bancal, la plupart l'écoutent quand même avec étonnement et finissent par s'y attacher. Abacab n'est pas un grand album, non, mais il est aussi utile que n'importe quelle œuvre de Genesis.