Dans le top 10 des jobs de merde en 1978, il y avait « manager de Kiss ». Désormais millionnaires, les quatre gus de New York sont devenus des divas. Foutez leur nom sur une babiole et vous êtes sûrs qu’elle vous rapportera des millions de dollars. Problème : au sein du groupe, la mayonnaise ne prend plus. Gene et Paul, mégalos au possible, entendent bien rester les seuls maîtres à bord du vaisseau amiral. Dans le camp d’en face, Peter est total nervous breakdown et Ace est devenu un alcoolique ingérable.

1978, Bill Aucoin, manager du groupe, propose donc à chacun des quatre Kiss de sortir SON album. Objectif : contenter tout le monde et injecter un peu de nouveauté dans une machine qui, après six albums studios, commence à sentir la rouille.

Personne ne mise alors un kopeck sur le projet d’Ace Frehley. C’était sans compter sur l’excellence du Space Man quand il s’agit de faire chier son bassiste. Car dans cet album, Ace va tout donner, atomiser la concurrence à la méthode Ace. C’est à dire sans trop se fouler.

En studio, Ace a une arme secrète : Eddie Kramer, le producteur d’Hendrix et des meilleurs Kiss (« Alive ! » et « Love Gun »). Ensemble, les deux allumés de l’ampli vont bricoler des trucs improbables : micros en haut des escaliers pour enregistrer la batterie, talkbox artisanale sur « New York Groove », guitare-synthé pour « Ozone » etc. Dans le genre « il fallait y penser », le son de cloche au début de « Fractured Mirror » provient d’une Gibson à double manche. Les micros d’un des manches sont poussés à fond et Ace joue sur le deuxième.

Il n’y a pas de mauvaise chanson sur cet album. A part l’excellente reprise de « New York Groove », il n’y a pas de hit non plus, le « Rocket Ride » d’Alive II étant même largement meilleur au « Rip It Out » placé ici en ouverture. Mais Ace a toujours eu cette science du riff, cette capacité à composer des titres hard immédiatement accrocheurs, sans parler de ses solos, toujours géniaux. Si bien qu’on peut s’enfiler cet album sans jamais s’ennuyer.

Moins flamboyant qu’un disque de Kiss (moins tape-à-l’oeil surtout), l’album d’Ace est un album de guitariste, carré et tout ce qu’il y a plus d’efficace. Avec ses bidouillages et ses riffs par dizaines, on peut le rapprocher de ceux qu’a produit Joe Walsh après le James Gang. Affront suprême fait à Gene Simmons, le magazine Classic Rock a récemment placé le premier disque solo d’Ace Frehley dans la liste des cent « vrais » meilleurs albums des seventies.