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Johnny CASH - Everybody Loves A Nut (1966)
Par AIGLE BLANC le 16 Septembre 2015          Consultée 1433 fois

Il n'est pas nécessaire de posséder une machine à explorer le passé pour ressentir la stupéfaction de l'auditeur de 1966 au moment de poser ce disque sur l'électrophone. Non, vous ne rêvez pas ! Ne vous en prenez pas à votre chaîne Hi-Fi ! Ne contactez pas SOS médecin, votre tête repose bien sur vos épaules, vous n'êtes pas victime d'une mauvaise farce de vos amis qui auraient malicieusement mélangé dans votre verre d'alcool quelque substance hallucinogène.

Johnny CASH est accompagné ici de ses comparses habituels, notamment du guitariste Luther PERKINS et du joueur de banjo Bob JOHNSON. Les douze chansons de l'album mêlent à nouveau des compositions personnelles et d'autres de ses amis parmi lesquels Jack CLEMENT, célèbre producteur et arrangeur de Sun Records, qui signe ou co-signe ici pas moins de quatre titres, soit près du tiers de l'opus.
Rien a priori ne choque à la lecture des crédits. Tout laisse à penser que nous avons affaire à un opus tout ce qu'il y a de plus classique, si tant est que cette expression ait un sens appliquée au style musical de Johnny CASH.

Et pourtant, dès la chanson éponyme signée Jack Clement, les yeux s'écarquillent, la bouche se fige sur une béance insondable. Mais quelle est cette chanson aux paroles absconses voire totalement idiotes, à moins de posséder un humour capable de s'élever jusqu'au quinzième degré?
Chacune de ses strophes raconte une histoire invraisemblable et présente un personnage loufoque, que ce soit Fred qui conserve le cadavre d'un cheval dans sa cave et qui à la question Comment gardes-tu ce cheval mort? répond Bien. ou alors Franck, propriétaire d'un tigre qu'il s'efforce de faire entrer dans son tank et qu'on retrouve ensuite déchiqueté en morceaux. La réponse à la question qui nous brûle les lèvres semble contenue dans le refrain : Everybody Loves a nut / The whole world loves a weirdo qui met l'accent sur la folie des hommes et du monde dans lequel ils vivent.
La musique qui accompagne ces paroles dingues épouse les atours d'une nuit de beuverie dans un saloon, effet que soulignent les sautillements d'un piano bastringue.

Le second titre, "The One On The Right Is On The Left", toujours de Jack Clement, présente un rythme dont le chant iconoclaste de Johnny CASH accentue la tonalité ironique tandis que le choeur féminin lui confère presque l'apparence d'une chanson enfantine. Les paroles cette fois mettent l'accent sur un groupe Folk qui parcourt les USA pour écumer les salles de concert et y chanter des ballades des montagnes ainsi que les chansons Folk traditionnelles du pays. Seulement, ses membres subissent en leur sein de gros clivages politiques qui finissent par rejaillir sur l'ambiance du groupe lui-même, lequel implosera au cours d'un concert. Le refrain dès lors, qui reprend le titre de la chanson, traduit ironiquement les clivages politiques des musiciens : Well, the one on the right was on the left / And the one in the middle was on the right / And the one on the left was in the middle / And the guy on the rear was a Methodist. La dernière strophe qui sert de morale à cette histoire rappelle à tous ceux qui voudraient fonder un groupe de Folk de laisser au vestiaire leurs idées politiques pour se concentrer uniquement sur les harmonies, la diction et le jeu de leur banjo. La mélodie entraînante souligne à son tour la tonalité farcesque de ce titre gentiment moqueur.

Les titres qui suivent restent dans la même lignée de chansons gaies, sautillantes, farfelues et totalement décalées, flirtant avec l'allégresse de chansons à boire, même si le thème de l'alcool n'est abordé que dans la chanson "A Cup of Coffee" de Ramblin'Jack Elliott, pour laquelle Johnny CASH livre une performance vocale qui dépasse l'entendement. C'est bien simple, ce texte long et aussi brumeux qu'une interminable soirée éthylique, le chanteur le clame d'une traite avec un talent de comédien absolument hallucinant de réalisme. Vous l'aurez compris, "A Cup of Coffee" n'est pas une chanson commune. On n'y retrouve pas vraiment d'alternance couplets/refrains, ce qui pour l'époque reflète une audace certaine. La ligne vocale principale se contente de grommeler le texte qui reproduit un monologue étylique plus vrai que nature.
Jack Elliott a voulu selon toute apparence décrire un moment de beuverie vécu avec son compagnon de route Johnny CASH. D'où l'impression immersive de ce titre parlé que ponctuent les apartés *yodelisés* de J.Elliott et certains bruitages cocasses comme celui du chat que l'on écrase et qui réagit en feulant. On se croirait presque en train d'écouter à la radio l'une de ces fictions théâtralisées. Malgré le caractère décousu du texte (forcément, s'il reproduit l'état éthylique!) et l'arrière-plan clichesque d'une guitare country en roue libre, force est de reconnaître qu'il s'agit d'un véritable tour de force de la part des deux hommes qui donnent vie à cette scène avec une drôlerie irrésistible.

Sur quelques mesures pianistiques empruntées au traditionnel enfantin "Ah vous dirais-je maman/ce qui cause mon tourment" et que reprend ensuite la guitare pour broder quelques variations autour de la mélodie, "The Singing Star's Queen" est une blague de potache qui ironise sur le succès de la star incontestée de la Country, Waylon JENNINGS. J. CASH se vante de passer beaucoup de temps avec la dulcinée (la reine) de son ami et concurrent chanteur pendant que ce dernier est sur les routes à écumer les salles de concert, et à lui emprunter ses plus beaux vêtements pour sortir avec sa chérie. Cette chanson susceptible de provoquer un tollé, pour peu que l'on soit jaloux, est révélatrice en fait de l'amitié réelle qui unissait J. CASH et W. JENNINGS qui constitueront bien plus tard le méga-groupe THE HIGHWAYMEN aux côtés de Willie NELSON et Kris KRISTOFFERSON.

Il serait facile d'incriminer la dépendance maximale de J. CASH aux amphétamines à cette époque pour justifier l'existence d'un tel disque brisant délibérément la crédibilité de l'artiste. Il est vrai que la noirceur habituelle du chanteur et sa lucidité sont mises à mal dans Everybody Loves A Nut, mais il ne faut pas oublier non plus que ce disque a ses adeptes parmi ses plus grands fans. Au-delà du caractère souvent farcesque de ces chansons, force est de reconnaître qu'elles sont parfaitement exécutées. De plus, ce disque met en évidence, plus qu'ailleurs encore, l'ironie de Johnny CASH qui n'a jamais caché son penchant pour la provocation.
On ne peut pas non plus interpréter cet opus comme un dernier baroud d'honneur adressé à sa maison de disques Columbia avant de la quitter car l'homme en noir honorera son contrat avec elle jusqu'au mitan des années 80. Non, c'est un album loufoque, mais totalement assumé, qu'il faut respecter comme tel ou alors le rejeter en bloc avec toute la discographie du bonhomme. A bon entendeur, salut.

*yodeliser* est une technique de chant virtuose qui consiste à passer rapidement d'une voix de poitrine à une voix de tête. Les chants tyroliens et suisses utilisent beaucoup cette technique, mais aussi le Folklore cowboy du Texas.

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   AIGLE BLANC

 
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- Johnny Cash (chant)
- Jack Elliott (chant - titre 3)
- Luther Perkins (guitare)
- Norman Blake (guitare)
- Bob Johnson (banjo)
- W.s Holland (batteries)
- Bill Pursell (piano)
- Anonyme (chœur féminin)


1. Everybody Loves A Nut
2. The One On The Right Is On The Left
3. A Cup Of Coffee
4. The Bug That Tried To Crawl Around The World
5. The Singing Star's Queen
6. Austin Prison
7. Dirty Old Egg Suscking Dog
8. Take Me Home
9. Please Don't Play Red River Valley
10. Boa Constrictor
11. Joe Bean



             



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