Vous pensez bien qu’une personnalité aussi forte et puissante que celle de Johnny CASH a dit beaucoup de choses pendant sa longue carrière. L’homme en noir s’est d’ailleurs fendu de nombreux concepts albums, prétexte à multiples sorties relativement faciles sur un répertoire souvent existant en partie. En revanche, pas de doute, l’homme est réellement partie prenante dans ses diverses opinions, que ce soit sur les Amérindiens, la politique, la condition sociale ou la religion. Il croit ce qu’il chante ou ce qu’il professe. En ce début d’année 63, il se montre ainsi à la pointe des revendications estudiantines en décrivant le statut du travailleur moyen américain dans cet album à la couleur bien révolutionnaire ! Quelle pochette, non ?

Plusieurs titres sont d’ailleurs sortis de sa guitare. Il en est du très long "The Legend Of John Henry’s Hammer" de plus de neuf minutes, tout ça plusieurs années avant l’avènement du rock progressif ! Ce titre est à lui seul un petit univers. Johnny y cause, s’interrompt, reprend son propos et le transforme. On y entend le principe, si tu es prête à bosser, tu feras n’importe quoi pour survivre et faire vivre les tiens. "Tell Him I’m Gone" est probablement le plus rock des titres ici présents. Et ça cause de marteaux ! On sent la rébellion poindre sous le ton désabusé de Johnny, tout ça pour la gloire du cheval de fer ! On retrouve certains aspects rockabilly doowop sur le superbe traditionnel "Casey Jones". Dieu, que c’est roots ! On se croirait à Memphis en 55 ! Le banjo ajoute une touche d’authenticité supplémentaire fort bienvenue, et le refrain est une merveille de bonne humeur. Johnny CASH a son zénith !

"Busted" est une compo' d’Harlan Howard, spécialement taillée pour cet opus, une chanson que les Américains adorent et aiment à reprendre en famille. C’est croquignolet avec son rythme tchakapoum. "Chain Gang" sort de la même besace, et Johnny y cabotine tout du long avec la bonhommie qu’on lui connaît. Bien sûr, c’est daté, bien sûr ça pourra sonner kitsch aux oreilles des années 2020, mais le ton est tellement évident et efficace qu’on en oublie le reste. "Waiting For A Train" est plus nonchalante. On y retrouve encore la passion du Johnny pour les machines de fer qui roulent. C’est la fête du banjo un peu partout : ainsi de "Roughneck" qui se signale à nouveau par des choeurs judicieux. Des histoires de travailleurs honorables du middlewest profond. Très très roots ! Et quand les cadors de la musique populaire se téléscopent, cela nous donne "Nine Pound Hammer" - encore une histoire de marteau, pas l’apanage des vikings ou des russes donc. Il s’agit d’une composition du grand Merle TRAVIS, roots en diable.

"Another Man Done Gone" est une compo' des frères LOMAX, qui nous plonge dans un autre monde. On a presque l’impression que ce titre a capella est tiré des œuvres de Porgy And Bess et qu’Ella FITZGERALD est venue lui donner la réplique. Mais il s’agit de Vera ELLEN à la voix douce et claire. Surprenant et assez émotionnel, le top de cet album à mon sens. Bref, sans prétendre au statut d’opus major, cet album se signale par plusieurs titres qu’il convient d’élever au rang de classique. Le sujet en lui-même n’est pas si fréquent aux USA, surtout sous la plume d’un artiste aussi aimé que Johnny CASH. C’est aussi ce genre de démarche qui fait que ses compatriotes l’aiment tant, quelles que puissent être leurs idées. C’est donc un quatre à découvrir, même si c’est très roots !