Après le bucolique Trespass et le spontané Nursery Cryme, voici venir le plat de résistance de la carrière de GENESIS : l'expérimental Foxtrot.
Il s'agit sans nul doute de leur œuvre la plus complexe, présentant les compositions les plus osées, les plus impressionnantes mais aussi les plus longues à apprivoiser. On peut éventuellement y voir un certain concept. Ce quatrième album a pour nom celui d'une danse à quatre temps. La première face comprend quatre chansons, alternant des thèmes futurs et passés, tous assez pessimistes, mettant en évidence l'absurdité de nos comportements humains, quelle que soit l'époque. La deuxième face est occupée par la fameuse suite "Supper's Ready", où on retrouve encore pas mal de sarcasmes sur la guerre, la religion et tout ça. Un album qui aurait pu être aussi dépressif que du Peter Hammill, et pourtant GENESIS réussit à plutôt jouer la carte de la satire amusante.

L'ouverture de "Watcher of the Skies" est célèbre pour la grande ligne de Mellotron d'Anthony Banks. La chanson est encore assez simple, bien que le rythme soit riche. Elle parle d'un observateur dans l'espace assistant à la fin d'une civilisation – la notre ?
"Time Table" est le seul moment un peu faible, elle parle des chevaliers, de leur honneur, etc. C'est avec "Get'em Out By Friday" que les choses deviennent assez incroyables. Cette histoire de limitation génétique de la taille des gens pour économiser de la place de logement n'a pas pris une ride. Les dérives de notre monde actuel n'en sont malheureusement parfois pas éloignées. La musique, quant à elle, forme un véritable micro-opéra, avec plusieurs rôles tenus par Peter Gabriel, les variations dans le rythme et l'ambiance font vraiment de ce morceau un exemple de progressivité.
Quant à "Can-Utility and the Coastliners", une histoire fantastique d'un roi à la mer, elle présente une des séquences instrumentales improvisées les plus légendaires du groupe.

Après le petit solo de guitare "Horizons", qui rappelle un peu trop J.S. BACH, la grande suite "Supper's Ready" commence. Elle me semble calquée sur la déjà satirique "A Plague of Lighthouse Keepers" de VAN DER GRAAF GENERATOR, au moins partagent-elles leur durée et leur wagon de parties. Cette suite est déjantée et le texte insensé ou surréaliste, mais elle est tellement riche musicalement qu'on en reste bouche bée. Il faut d'ailleurs de nombreuses écoutes pour en assimiler tous les détails. Entre le chant romantique de "Lover's Leap", la parodie pop de "Willow Farm" et le double rythme de "Apocalypse in 9/8" (4/4 et 9/8, se décalant petit à petit), jamais le rock progressif n'a aussi bien porté son nom qu'ici.

Malgré, et à cause de toutes ces qualités, il est rare que Foxtrot soit le GENESIS préféré de l'auditeur. Le plus souvent, on préfère écouter quelque chose de plus simple, de plus direct. Mais, parfois, on revient ici et on se dit que, décidément, ces cinq musiciens-là étaient tout simplement plus forts que les autres.