Voilà 25 ans que nous avons découvert Nobuo UEMATSU, 15 ans que nous avons écrit notre première ligne à propos de sa musique et 28 chroniques que l'on tourne autour du pot. Nous avons dénoncé des infamies à l'occasion du Grand Finale et du Piano Collections. Nous nous sommes étalés en dithyrambes à l'occasion du live More Friends et des deux premiers Distant Worlds. Si le message n'était toujours pas clair, sachez que Final Fantasy VI possède la meilleure bande son de jeux vidéo de tous les temps.

C'est un défaut minime qui nous a fait si longtemps hésiter. Eiji Nakamura, génial ingénieur du son, est à l'origine des techniques de sample qui ont permis de pousser la Super Nintendo dans ses derniers retranchements. Confiante en son compositeur, l'équipe de développement a incorporé une scène d'opéra dans le jeu. L'équipe a ainsi souhaité reproduire le plus fidèlement possible le timbre vocal des chanteurs d'opéra. Si les 20ms de la durée des samples ne permettent pas de faire chanter la Super Nintendo, l'illusion est de mise et le résultat loin d'être ridicule. Les lignes vocales synthétiques de Final Fantasy VI nous sont ainsi rétribuées sous forme de chœur et sur fond d'orgue dès l'imposante introduction du jeu. Dès la première note, Final Fantasy VI dépasse toutes ses ambitions.

Mais UEMATSU ne connaissait pourtant rien à l'opéra et remplit le cahier des charges avec brio. On vous invite à relire la chronique du live More Friends pour ce qui concerne les prouesses réalisées à ce sujet. En outre, la BO s'articule autour de Leitmotivs chers à WAGNER (1). John WILLIAMS et sa saga étoilée est souvent cité en tant que passeur de relais. Au delà du mini-opéra en 4 pièces, c'est toute l’œuvre qui, à défaut de chanteurs lyriques, raconte une histoire et réutilise ses mélodies de part et d'autre à la manière de l'opéra romantique.

Le jeu nous propose ainsi une galerie de 14 personnages jouables et autant de thèmes musicaux marquants (2). UEMATSU lui-même, mentionne qu'après 5 épisodes à s'être principalement inspiré de musique Européenne, FFVI est le premier jeu où il s'est senti libre d'expérimenter. En résultent des thèmes mémorables dans des genres très variés. On note en particulier des utilisations à contre-emploi, comme cet hommage aux westerns de MORRICONE dans le thème de Shadow le ninja. Celui de Cyan (Cayenne en VO) assume également l'héritage extrême-oriental en usant de shakuhachi (grande flûte japonaise) et de percussions exotiques. D'autres thèmes non associés à des personnages, vont également chercher à nouveau dans la musique celtique ("Relm"), les percussions africaines ("Wild West", le thème de The Veldt), le Blues ("Johnny C. Bad"), le Jazz ("Slam Shuffle"), le Ragtime (Spinash Rag) et même l'EDM ("Techno de Chocobo").

C'est le contexte Victorien et steam-punk du jeu qui permettent avant tout à la musique classique période romantique d'être à l'honneur. Si Nakamura a réussi la prouesse de simuler des voix, ce sont les cordes qui utilisent le plus d'espace mémoire sur la cartouche d'origine. Frappées, frottées, grattées... toute la panoplie y passe. Ce sont les flutes de toutes sortes et leurs trémolos enivrants qui de tous les instruments échantillonnés, nous tirent des larmes des yeux.

Si nous parlions de Leitmotiv, c'est qu'une partie du casting voit ses thèmes détournés pour les plus belles heures du jeu. Au thème de "Figaro Castle" s'impose ainsi l'intimiste et bouleversante "Coin Song". Quelques années auront été nécessaire pour remarquer les liens qui unissent "Blackjack" et la magnifique "Epitaph", toutes deux liées au personnage de Setzer. On a même finit par nous pointer du doigt que l'inoubliable "Forever Rachel" provenait belle et bien du thème de "Lock" (3). A chaque fois l'évidence est sous nos yeux (les scènes figurant ces thèmes sont associés aux même personnages), mais les intentions tellement contrastées que l'illusion est parfaite. L'ensemble s'agglomère, avec nouvelles variations à la clé, dans le thème-fleuve faisant office de final, fort réussit (cf. chronique de Distant Worlds III).

De tous, c'est le thème de Terra (Tina en VO) qui occupe la place d'honneur avec plusieurs variations ("Opening Theme", "Awakening", "Tina"...). Lui-même se dote d'une variation déchirante à coup de dissonances folles à savoir "Metamorphosis". l'Opening Theme réussit même la prouesse d'être également apparenté à une autre composition, "Catastrophe" toute aussi grandiloquente. On en retrouve l'orgue à nouveau dans la quatrième section de "Dancing Mad", accord glaçant à l'orgue marquant ainsi les trois temps forts de l'histoire.

On a fait trop long, cette BO tenant sur 3 CD le vaut bien. 10 chroniques ne suffiraient pas à dire tout le bien que l'on en pense. La BO de Final Fantasy VI est le chef d’œuvre de Nobuo UEMATSU. Arrivé au bout du projet, l'intéressé déclarait avoir atteint son but et pouvoir quitter son métier sans regret. Chose sur laquelle il se ravisa rapidement, réalisant que composer des musiques sur processeur ne méritait sans doute pas le succès dont il jouissait. Malgré sa perfection, l'OST de Final Fantasy VI est en effet victime de son support. Rares sont les personnes a avoir atteint un tel degré de qualité avec de telles contraintes.



Remerciements particuliers à Romain Dasnoy et Nathanael Bouton-Drouard pour leur excellent ouvrage "L'histoire de Final Fantasy VI" - La divine épopée - aux éditions Pix'n Love. Une véritable mine de renseignements pour les fans comme votre serviteur qui ont depuis 25 ans épluché tous les articles, vidéos Youtube et même d'autres ouvrages sur le sujet.

(1) WAGNER employait lui même les termes de "Grundthema" ou "Grundmotiv" (thème fondamental, et non directeur)
(2) Notez que les jumeaux du royaume Figaro se partagent le même thème, et que l'antagoniste principal se dote lui-même de son leitmotiv, ce qui porte donc bien le total à 14.
(3) 25 ans, un nombre incalculable d'heures passées dessus, et le jeu dévoile encore des secrets.