Des années après sa sortie, The Last Story nous trouble toujours autant sur le plan musical. Le jeu a beau se dérouler dans un contexte de pure Fantasy, nos oreilles sont en revanche transposées en pleine action militaire à la façon de Hans ZIMMER ou d'Harry-Gregson WILLIAMS. Du point de vue ludique, le tout fonctionne remarquablement bien. Le jeu, bien qu’il conserve ses racines J-RPG, est résolument orienté vers l'action. Le cocktail militaire mêlant tension, roulements de tambours, cuivres pétaradants et mélodies courtes sur lit de cordes sied parfaitement aux joutes acrobatiques que se livrent Zael et sa clique de mercenaires. "The Evil Beast", "Patina of the King" ou "Order and Chaos" apportent une excellente dynamique manette en main, ce qui ne nous permet pas de critiquer ce choix audacieux.

Alors pourquoi diable personne n’a-t-il l’air de s’étonner que Nobuo UEMATSU soit derrière tout cela ? « Il a souhaité faire différent », vraiment ? D’un coup, d’un seul, le compositeur du thème des Chocobos, de Gogo, des Moogles et de 10 Short Stories et autres espiègleries enfantines se serait mis à composer des musiques dignes d'Ennemi d’état, Modern Warfare ou House of Cards ? On me rétorquera des "Bombing Mission" et autres "The Landing", certes, mais on reste encore loin de ce que l’on peut entendre sur The Last Story. On sait UEMATSU très éclectique, on sait également Sakaguchi capable d’exiger l’impossible. Ce que nous confirme une interview de 2012 (1). Pour la première fois en 25 ans, Sakaguchi a refusé les 3 premières compositions, obligeant UEMATSU a revoir complètement sa façon de faire.

En cherchant un peu de documentation, on découvre que 2 autres personnes ont été appelées en renfort. Il est difficile d’identifier l’apport de Tsutomu NARITA, qui seconde désormais UEMATSU sur tous ses travaux depuis l’OST de l’anime Guin Saga (2009). Yoshitaka SUZUKI en revanche, a composé les B.O de 3 épisodes de la série Metal Gear Solid (2). Ce qui explique largement la métamorphose constatée. Prenons "Conspiracy" à titre d’exemple : mélodiquement parlant, nous ne sommes pas si éloignés du thème de Burmecia sur FFIX. On se doute également que la version originale de "Lost Time" était simplement jouée au piano. Il faut donc très souvent gratter derrière le verni des arrangeurs pour y retrouver le compositeur originel.

On reconnaît ainsi UEMATSU plus facilement au gré de mélodies plus typées, en particulier à partir du second disque. Or assauts militaires, l’OST nous renvoie beaucoup aux arrangements de Final Fantasy IV et V. "Fallen Nobles" et sa déclinaison "Declining Nobles" par exemple, n’auraient pas dépareillé sur Celtic Moon, à l’exception de ce troublant shakuhachi. La version pour violoncelle électrique de "Sneaking signs" est la preuve irréfutable de la capacité de SUZUKI à complètement transformer les compositions du maître. On se doute que Tsutomu NARITA, également membre des EARTHBOUND PAPAS, a davantage contribué à la version rock progressif du même thème sur "Invitation to madness".

Résumer l’OST à du UEMATSU grimé à la façon de Hans ZIMMER nous semble ainsi quelque peu simpliste. On a également beaucoup pensé à d’autres compositeurs japonais de renom. Le jazzy "Congenial" nous ramène dans un casino de la saga Dragon Quest (Koichi SUGIYAMA). Les nappes aiguës de synthé disséminées çà et là nous renvoient au meilleur de Motoi SAKURABA sur la saga Star Ocean. Enfin, l’orientalisme insistant dont fait ici preuve UEMATSU dans les passages hors action colore l’OST de manière très particulière, à la façon dont le faisaient les différents compositeurs de la saga Suikoden. Mais c’est à Hitoshi SAKIMOTO, dans ce florilège d’effets dynamiques, qu’on a le plus pensé au gré de cette OST. La façon dont l’ambiance du jeu nous rapatrie quelque part dans l’Ivalice de Final Fantasy XII et Vagrant Story fausse peut-être notre impression.

On a suffisamment reproché à UEMATSU la pauvreté de ses choix en termes d’arrangements dans le passé. S’entourer était certainement la meilleure décision que ce dernier pouvait prendre. Le résultat, détonant, nous fait légèrement perdre de vue la personnalité du compositeur. La surabondance d’effets masque en effet les mélodies. Le tout se renouvelle suffisamment, malgré un relatif manque de coup d’éclat, pour vous en conseiller l’écoute.

(1) https://www.youtube.com/watch?v=xRkthcxvC2o
(2) MGS 4 Guns of the Patriots, Portable Ops et enfin Peace Walker
(3) Une vingtaine d’heures au compteur, ce qui est donc très relatif.